Vers une globalisation de l’action citoyenne ?

Depuis fin 2018, le monde a connu un essor des manifestations d’ampleur aux revendications économiques, politiques et sociales. Les questions relevant du changement climatique et de la justice sociale ont été au cœur de ces mobilisations. qui sont pour certaines venues replacer le social au centre du jeu international.

« Ces dernières années, les mouvements sociaux ont repris le devant de la scène concernant des thématiques aussi bien économiques, politiques et sociales »

L’importance des organisations de la société civile a quant à elle considérablement augmentée partout dans le monde depuis la fin des années 1990. Celles-ci influencent désormais les processus politiques en contribuant à la législation, en surveillant la gouvernance et le respect des droits de l’homme, et en exerçant des activités de lobbying et de plaidoyer. Quel est aujourd’hui le poids concret de l’action citoyenne dans le processus décisionnel et politique ?

Le rôle politique des organisations de la société civile

Depuis trois ou quatre décennies, on assiste à une globalisation de la société civile, avec l’augmentation du nombre d’organisations non gouvernementales internationales, qui se rejoignent notamment pour dénoncer des effets sociaux, écologiques et économiques de la globalisation, et qui exercent des pressions de plus en plus considérables sur la sphère politique. La visibilité des ONG a grandi au fil des conférences et sommets internationaux des années 1990, et ces organisations se posent souvent en porte-parole des laissés-pour-compte de la croissance et de la globalisation [1]La fin du modèle bipolaire de la Guerre Froide. La fin du modèle bipolaire de la Guerre Froide est venu questionner le rôle de l’Etat comme acteur central du jeu international. La crise de l’Etat dans un monde de plus en plus globalisé où la régulation nationale perd progressivement de sa pertinence laisse la place à l’apparition d’une « société civile internationale » qui viendrait influencer les règles globales qui s’applique aux acteurs étatiques.

Ces dernières décennies, les organisations de la société civile se sont largement professionnalisées, et ont de plus en plus investi les processus politiques et techniques. Certaines organisations se sont spécialisées dans un domaine technique précis, ou mènent des activités de lobbying sur certaines thématiques. Leur importance grandissante pose cependant plusieurs questions autour de leur identité. Comment maintenir une légitimité démocratique si celles-ci sont investies par les élites intellectuelles des classes moyennes, dont le rôle peut paraître ambivalent sur des questions telles que la juste répartition des ressources ou de la lutte contre la pauvreté par exemple.

La globalisation des mouvements sociaux

Du souffle contestataire qui a investi le Liban, impulsé par la grave crise économique et portant en son cœur des revendications de justice sociale ; aux contestations qui ont secoué le Chili à la suite de l’augmentation du prix du ticket à Santiago ; en passant par le Hirak algérien, série de manifestations protestant contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika a un cinquième mandat, l’année 2019 a été le point de départ de nombreux mouvements contestataires à travers le monde. L’année précédente, le mouvement des Gilets Jaunes s’emparait de la France pour manifester contre l’augmentation du prix des carburants automobiles issue de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.

Si chacune de ces mobilisations trouve ses origines dans des facteurs locaux, nous retrouvons comme élément commun de ces contestations un sentiment général de désenchantement vis-à-vis du système néolibéral [2]Le Monde, Du déclencheur local à la révolte globale : la convergence des luttes dans le monde, 8 novembre 2019.. De nombreux facteurs globaux suscitent l’incertitude chez les citoyens, comme le ralentissement global de l’économie mondiale, l’accroissement des inégalités et la crise de la démocratie représentative [3]La fin du modèle bipolaire de la Guerre Froide. Ainsi des épiphénomènes, tels que l’augmentation du ticket de métro à Santiago au Chili, suffisent à créer une onde de choc et à libérer la colère des citoyens, dont les revendications vont au-delà du rejet de mesures à l’apparence dérisoire. Ces mouvements ont également en commun d’éviter toute récupération partisane, ainsi que l’absence d’un porte-parole.

Enfin ces mobilisations ont comme point commun un élément générationnel, les plus jeunes ressentant l’urgence accrue d’une mobilisation pour agir sur leur avenir. Une autre cause a également été largement portée par la jeunesse ces dernières années : la question environnementale. En effet, nous avons vu se dérouler à travers le monde des marches pour le climat, des grèves étudiantes pour le climat (Fridays for Future) et l’apparition d’ « Extinction Rébellion », un mouvement social écologiste international, qui revendique l’usage de la désobéissance civile non violente.
Plus récemment le mouvement Black Lives Matter, apparu aux Etats-Unis en 2013 et redynamisé en 2020 suite au meurtre de Georges Floyd, et qui proteste contre les violences policières et les discriminions raciales, a également résonné dans de nombreux pays du monde et notamment d’Europe occidentale (comme le Royaume-Uni, la France et la Belgique). On a ainsi pu assister au déboulonnement de statues, telle que la statue à l’effigie de l’esclavagiste Ed-ward Colston sur le port de Bristol.

Mais qu’en est-il de l’impact de ces mobilisations ?

Il est intéressant d’observer qu’à la suite du mouvement des Gilets Jaunes, le Président de la République française a lancé en décembre 2018 un « grand débat national », ayant pour objectif de faire remonter les souhaits des Français sur les questions relevant de la transition écologique, de la fiscalité, de l’organisation de l’Etat et des services publics, ainsi que de la démocratie et de la citoyenneté. A l’issue du Grand Débat, la Convention citoyenne pour le climat a été constituée, afin de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030 par rapport à 1999. » (propos à retrouver sur le site officiel de la convention citoyenne). La convention a publié en juillet 2020 les 149 propositions qu’elle a formulées, et le Président français s’est engagé à ce qu’elles soient soumises au Parlement ou à referendum. Cependant, à l’occasion du vote du projet de loi de finances à l’Assemblée Nationale en juillet dernier, de nombreuses mesures proposées par la convention ont été rejetées, faisant état d’un manque de volonté politique du gouvernement et de la majorité à mettre en œuvre les propositions de la Convention [4]Greenpeace, PLFR3 : Echec au crash test de la mise en œuvre des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, 10 juillet 2020. S’il est raisonnable de questionner la représentativité des 150 panelistes de la convention, ce dispositif inédit en France constitue néanmoins un succès en termes de démocratie participative.

Au Royaume Uni, une Assemblée du Climat a été mise en place en janvier 2020, à la suite d’une déclaration d’urgence votée par le Parlement britannique en mai 2019, elle-même impulsée par les manifestations portées par le mouvement « Extinction Rebellion ». Cette assemblée a été initiée par les députés britanniques, afin de connaitre l’opinion du public sur le changement climatique, en réunissant un groupe de 108 citoyens, se voulant représentatif de la population.

En Belgique, les mobilisations autour du mouvement « Black Lives Matter » de juin 2020 ont débouchées sur la création d’une commission parlementaire composée d’experts, et chargée « d’examiner l’Etat indépendant du Congo (1885-1908) et le passé colonial de la Belgique au Congo (1908-1960), au Rwanda et au Burundi (1919-1962), ses conséquences et les suites qu’il convienne d’y réserver ». Dès son lancement, la commission a cependant connu des difficultés quant au choix des experts la composant.

On peut ainsi considérer que le tissu social tend à s’internationaliser, et que l’action citoyenne semble impacter les décisions politiques sur les questions touchant à la globalisation. Néanmoins l’idée d’une « société civile internationale » reste confrontée à certaines limites. Les contours de cette notion restent encore à définir, alors qu’elle semble regrouper une pluralité d’acteurs hétéroclites, soumis à des facteurs technologiques et économiques qui favorisent un leadership occidental. Ainsi, il est difficile d’identifier une « société civile internationale » véritablement représentative. Par ailleurs, si l’action citoyenne parvient à avoir une résonnance transnationale, il n’empêche qu’elle sert généralement de levier pour déclencher une action politique dans la sphère nationale, comme l’illustre le traitement de la question climatique en France et au Royaume-Uni.

Tessa Fardel

Notes

Notes
1 La fin du modèle bipolaire de la Guerre Froide
2 Le Monde, Du déclencheur local à la révolte globale : la convergence des luttes dans le monde, 8 novembre 2019.
3 La fin du modèle bipolaire de la Guerre Froide
4 Greenpeace, PLFR3 : Echec au crash test de la mise en œuvre des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, 10 juillet 2020
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