Entre 1996 et 2001, l’État péruvien a stérilisé de force 270 000 femmes, dans le but, officiellement, de lutter contre la mortalité infantile et maternelle. Dans un contexte d’obédience aveugle à la Banque Mondiale et de guerre sale avec la guérilla du Sentier Lumineux, le Ministère de la santé n’a pas hésité à utiliser les pires méthodes pour obliger des communautés paysannes entières à subir ces opérations. Mais la justice est en marche, grâce à des femmes qui luttent depuis plus de 15 ans pour mettre fin à l’impunité.
Nous sommes en 1995. Lors de la 4ème Conférence internationale sur la Femme qui a lieu à Pékin, le président péruvien Alberto Fujimori annonce fièrement le lancement d’un programme de “contraception volontaire” dans son pays. Il arbore un fier sourire et promet ainsi aux péruviennes “qu’elles seront désormais maîtresses de leur destin !”. Mis en place dès l’année suivante, ce programme entend également lutter contre la mortalité en couches et infantile, qui atteignent ces années-là respectivement 265 pour 100 000 naissances et 47 pour 1000 naissances. En toile de fond : les négociations avec la Banque Mondiale qui n’apprécie guère ces chiffres et qui les met en balance avec l’obtention de crédits et le rééchelonnement de la dette [1]“Peru : la lucha contre las esterilizaciones forzadas”, Diagonal, 11 mars 2013. Mais dès 1997, des voix s’élèvent pour dénoncer des abus et des cas de stérilisation forcée, obtenues donc sans le consentement des femmes opérées. C’est la mort en 1998 de Maria Mamérita Mestanza Chavez, décédée des suites de cette opération, qui fait office de déclencheur pour la société civile. Une plainte est déposée devant la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) contre l’État péruvien. Suite à cette pression internationale, l’État péruvien finit par reconnaître en 2003 “avoir violé les droits de Mestanza à la vie et à son intégrité personnelle, et s’engage à réaliser une enquête approfondie ainsi qu’à trouver une solution avec la famille de la victime, incluant des réparations financières” [2]“Perú : víctimas de esterilización forzada accederán à reparaciones”, noticias Aliadas, 11 décembre 2015 (publié par www.alterinfos.org).. Malgré ces signes de bonne volonté affichés, l’enquête ouverte au niveau national en 2004 a conduit à un non-lieu en 2009, faute de preuves suffisantes récoltées sur le terrain. Les organisations de la société civile ont alors dénoncé un manque de bonne volonté évident de la part de la Justice, ainsi qu’un manque d’abnégation dans la recherche de la vérité… C’est grâce encore une fois à la CIDH que l’enquête sera relancée. En 2011, celle-ci considère dans un arrêt que ces faits constituent des crimes contre l’humanité, et à ce titre, ne prescrivent pas ! Une nouvelle ouverture de l’enquête en 2012, à la lumière de cet arrêt, ne sera pas plus heureuse. En janvier 2014, le procureur estimera qu’il n’y a pas de preuve que ces actes aient été directement ordonnés par le Président Fujimori et ses ministres, et cela malgré les centaines de témoignages reçus. Pour lui, il ne s’agit donc pas d’un crime contre l’humanité, et pointe du doigt la culpabilité de 6 médecins ayant, selon lui, agi de manière tout à fait autonome…Documents joints
Notes[+]
↑1 | “Peru : la lucha contre las esterilizaciones forzadas”, Diagonal, 11 mars 2013 |
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↑2 | “Perú : víctimas de esterilización forzada accederán à reparaciones”, noticias Aliadas, 11 décembre 2015 (publié par www.alterinfos.org).. |
↑3 | Le médiateur de l’État péruvien, organe indépendant (Ombusdman). |
↑4 | “Fujimori ordenó la esterilización forzosa de 200.000 mujeres indígenas en Perú”, El País, 25 juillet 2002. |
↑5 | “Ningún médico actuaba por su cuenta sino que obedecía los mandatos del gobierno”, La Republica, 29 mars 2016. |
↑6 | Voir à titre exemplatif la campagne sur le réseau social Twitter : “Somos 2074, y muchas mas” [Nous sommes 2074, et bien plus], avec le mot clé #Somos2074YMUCHASMÁS. |
↑7 | “Ningún médico actuaba por su cuenta sino que obedecía los mandatos del gobierno”, La Republica, 29 mars 2016. |
↑8 | Así reporta la BBC sobre las esterilizaciones forzadas en Perú”, El Comercio, 9 novembre 2015 .” |