Le 25 septembre 2015, l’Agenda 2030 est adopté par les 193 chefs d’Etats, dans lequel 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) sont définis. Cette feuille de route internationale définit les lignes directrices des changements que nous souhaitons atteindre au XXIème siècle pour un développement durable dans des domaines divers tels que la santé, l’éducation, l’égalité, la justice etc. Les Etats se sont donné 15 ans pour réaliser ces objectifs de manière concrète et collective. Il est donc primordial que les gouvernements, entreprises, sociétés civiles et organisations travaillent avec cohésion en suivant une stratégie commune pour obtenir de véritables résultats.
Depuis l’avènement de la mondialisation, les relations internationales sont guidées par le courant transnational. Il se caractérise par l’accroissement des échanges économiques, l’extension du marché mondial, la simplification de la mobilité, l’effacement des frontières terrestres mais aussi par l’augmentation d’acteurs internationaux non étatiques, légaux comme illégaux (firmes transnationales, ONG, organisations internationales, société civile, groupes armés etc.) L’Etat n’est donc plus le seul et unique acteur dans les relations internationales. De ce phénomène, se crée une interdépendance entre les multiples acteurs qui ne peuvent répondre seuls aux défis du XXIe siècle. L’amplification d’interactions, de contacts, d’échanges et d’acteurs s’inscrit dans une logique de coopération et de coordination des politiques et actions par le multilatéralisme. Le multilatéralisme “tend à définir un système mondial de coopération dans lequel chaque Etat cherche à promouvoir ses relations avec tous les autres plutôt que de donner la priorité aux actions unilatérales ou bilatérales jugées dangereuses ou déstabilisantes.” Autrement appelé “gouvernance globale”, le multilatéralisme paraît indispensable à la coordination de l’action internationale et donc à la réalisation des ODD car il permet, la gestion commune, la régulation entre les Etats et l’entraide.
Cependant, le système international traverse actuellement de nombreuses crises -elles aussi dépendantes les unes des autres- qui ont démontré ne pas connaître de frontière et affectent la gouvernance globale. Qu’elles soient politique, économique, sécuritaire, écologique, sociale, migratoire, identitaire et plus récemment sanitaire, toutes ont modifié les enjeux internationaux et ont provoqué la rupture d’un équilibre. En effet, ces crises ont engendré des bouleversements au sein des relations internationales, ont accru les inégalités entre les populations et ont participé à la montée du populisme. A défaut de pouvoir répondre à ces défis par la coopération et le multilatéralisme, les Etats se replient donc sur eux-mêmes, agissent de manière unilatérale et/ou bilatérale car la protection de leurs intérêts nationaux redevient la priorité. L’objectif principal des chefs d’Etat est d’assurer la prospérité de leur Nation et le bien-être de leur population dans l’instabilité qui règne. Pour ce faire, les intérêts collectifs sont remplacés par les intérêts individuels. Les enjeux de paix, sécurité, croissance économique, climatique, sociaux, politiques, financiers se transforment et les Etats vont tenter de les atteindre par eux-mêmes.
Pourtant, c’est dans cette période cruciale dans laquelle les défis internationaux mutent, que la coopération internationale doit être plus forte que jamais. Le développement durable est reconnu comme un bien commun de l’humanité et chacun doit y apporter sa contribution pour en bénéficier. Toutefois, face à la complexification des échanges, la multiplication des acteurs, la lenteur des processus de négociation internationale, le multilatéralisme est remis en question. Pour préserver leur puissance et maintenir leur influence, les Etats vont agir de manière unilatérale ou bilatérale. Le nombre d’accords bilatéraux n’a cessé d’augmenter ces dernières années avec une prédominance pour les accords commerciaux régionaux. Selon les données de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de janvier à juin 2020, 304 accords commerciaux régionaux ont été notifiés. La gouvernance globale s’organise donc sous forme de grands espaces régionaux ce qui favorise les accords préférentiels. En effet, la réalisation d’accord va être guidée par les préférences mais aussi par les bénéfices que l’accord produira. Par cette méthode, “la clause de la nation la plus favorisée” instaurée par l’OMC n’est pas respectée, ce qui creuse les inégalités de développement entre les Etats et régions et freine la réalisation des ODD.
L’instabilité du système international et la dissipation du multilatéralisme ne rend pas compte d’un bilan positif pour l’Agenda 2030 pour les 15 ans de mise en oeuvre des ODD. La réalisation des ODD a pris du retard face aux conflits, aux multiples crises et aux enjeux qu’elles soulèvent. Face à la pandémie de Covid-19, de nouvelles perturbations ont été provoquées. Dans le dernier rapport publié par l’ONU The Sustainable Development Goals Report 2020, les conclusions sont alarmantes: une rechute de 71 millions de personnes dans l’extrême pauvreté est attendue en 2020; les 1,6 milliard de travailleurs vulnérables vont être grandement impactés suite à une baisse constante de revenus; le manque de logements adéquats, d’eau courante à domicile, de salubrité des sanitaires va s’accroître; la gestion des déchets va être complexifiée pour plus d’un milliard d’habitants de bidonvilles dans le monde; l’accès aux services de santé et d’alimentation va être perturbé; 90% des élèves du monde n’ont plus accès à l’éducation à cause de la fermeture des écoles; 370 millions d’enfants manquent de repas scolaires dont ils dépendent et l’inégalité d’accès aux ordinateurs et à un bon réseau Wi-Fi accentue l’inégalité d’apprentissage. Les femmes, les enfants et les communautés les plus pauvres seront les plus impactés par ces crises et le ralentissement de la réalisation des ODD. Les effets du déclin du multilatéralisme se font déjà sentir alors que les enjeux et défis qui nous attendent sont énormes.
L’Europe s’est construite grâce au multipartisme, ce qui fait d’elle un promoteur de ce système. Cependant, elle favorise depuis le début des années 2000 les accords régionaux. L’Europe détient un nombre record d’accords bilatéraux avec toutes les régions du monde: Moyen-Orient, Afrique, Pacifique, Amérique du Sud, Asie, Amérique du Nord. Au sein de l’Union Européenne, les Etats membres sont eux aussi touchés par le déclin du multilatéralisme et tentent de coordonner leurs politiques en réaction à la crise sanitaire et celles qui en découleront. Cette dissension existe notamment entre les pays du Nord qui sont moins en difficultés économique et financière et les pays méditerranéens, qui eux, sont plus impactés par les crises. Face aux bouleversements créés par la Covid-19, l’agenda international pour la réalisation des ODD est chamboulé. 10 ans avant la date d’échéance, l’Europe souhaite repenser les objectifs et cibles au regard des nouveaux enjeux mis en avant par la crise. Pour ce faire, le Corona Bond a été proposé par la Présidente de la Commission le 27 mai 2020. Ce plan de relance européen n’a pas fait l’unanimité mais un accord a finalement été trouvé le 21 juillet 2020. Cet “acte de naissance d’une nouvelle Europe” est un fonds commun doté de 750 milliards d’euros qui va être mis à disposition des Etats pour faire face à la crise économique provoquée par la pandémie. Grâce à cette aide, la priorité est donné à l’ODD 8 : garantie de travail décent, croissance économique durable et plein emploi productif pour chacun. Lors du Forum Politique de Haut Niveau des Nations Unies (FPHN), Sharan Burrow, Secrétaire Générale de la Confédération Syndicale Nationale, déclare que « L’ODD 8 offre une réponse large et efficace à la pandémie de Covid-19 et à la convergence des crises que l’on pouvait déjà observer avant son déclenchement. Cet objectif se subdivise en plusieurs cibles portant sur le travail décent, la santé et la sécurité au travail, la protection sociale, la croissance économique inclusive, la répartition équitable des richesses et la préservation de l’environnement. La réalisation de ces sous-objectifs dans un contexte de reprise après les impacts économiques, sociaux et sanitaires colossaux de la pandémie permettra de renforcer la résilience nécessaire à la relève des défis liés aux crises auxquelles est confronté notre monde et de réaliser un nouveau contrat social.» L’approche de l’Europe pour remédier à la crise est prometteuse. En débloquant une aide financière pour relancer l’économie, les 16 autres ODD directement ou indirectement liés bénéficieront de cet élan.
Le XXIème siècle sera celui d’une société de réseau dans laquelle la communication et les interactions entre les différents acteurs de la scène internationale ne peuvent être évitées. Dans un monde interdépendant, aucun État ne peut agir seul. C’est la raison pour laquelle les 17 Objectifs de Développement Durable ont été mis en place de manière collective. L’affaiblissement du multilatéralisme n’envisage pas une avancée positive pour l’agenda international et les 17 ODD. Le retour de l’unilatéralisme et le repli sur soi des Etats en raison des multiples crises, traduisent un sentiment de crainte et d’incertitude au sein du système international. Le seul remède reste la solidarité. Il n’y a qu’ensemble que les Etats peuvent répondre aux nouveaux défis que les crises mettent en évidence. Le plan de relance européen doit en inspirer certains. La prospérité des sociétés par la réalisation des 17 ODD se trouve dans la coopération et non dans l’individualisme.
Nour Engueleguele.