Une carte blanche parue dans La Libre, basée sur l’analyse « Période électorale: entre désinformation genrée et polarisation exacerbée » de Louise Lesoil, chargée d’animation et de recherches en conflits internationaux.
Ce dimanche et en octobre prochain, les citoyens belges se rendront aux urnes. En cette période électorale, la désinformation et la polarisation s’alimentent mutuellement, freinent la participation des femmes à la vie politique et menacent la stabilité démocratique et la cohésion sociale.
Une tribune de Louise Lesoil, chargée de recherche et d’animation au sein de l’association Justice et Paix
En 1906, la Finlande a ouvert la voie en accordant le droit de vote aux femmes. Cette avancée marque le début d’une longue lutte pour l’émancipation politique des femmes en Europe et dans le monde. En Belgique, le droit de vote a été instauré progressivement entre 1919 et 1948. Les premières mesures appelées “voix des morts” ne visaient qu’exclusivement les veuves ou mères de militaires morts au combat ainsi que les héroïnes de guerre, ou bien seulement un accès aux élections communales ou régionales. Il faudra attendre 1948 pour que toutes les femmes belges puissent être reconnues comme des citoyennes en ayant accès à toutes les urnes,alors que le suffrage universel masculin est déjà actif en Belgique depuis 1919.
En dépit des avancées significatives au cours des dernières décennies en Europe et dans le monde, les femmes restent sous-représentées sur la scène politique. Pour atteindre la parité, certains États ont instauré des quotas sur les listes électorales. C’est le cas par exemple de la Belgique, qui exige une égalité parfaite entre candidats femmes et hommes. Au niveau mondial, à ce rythme actuel, la parité dans les hautes positions de pouvoir des gouvernements ne pourra être atteinte que dans 130 ans (1).
Obstacles
Malgré les progrès réalisés dans la représentation des femmes au Parlement européen et dans les gouvernements nationaux, un constat s’impose : les femmes continuent de faire face à des obstacles concernant leur participation politique (2). Ces dernières rencontrent un niveau de défiance important lors de leur ascension aux différents niveaux de pouvoir. L’Indice de leadership de Reykjavík met en évidence que, dans nos sociétés, des croyances persistent quant à la capacité des femmes à participer pleinement à la vie publiqueen tant que citoyennes actives ou dirigeantes. Celles-ci sont alimentées par des attitudes traditionalistes et des préjugés tant chez les hommes que chez les femmes. Par exemple, les femmes politiques sont souvent dépeintes comme “fragiles”, “peu fiables”, “trop émotionnelles”, “hystériques”, “niaiseuses” ou “inaptes aux postes de dirigeantes” (3).
Ces attitudes et préjugés sociétaux nourrissent la diffusion de la désinformation genrée. Il s’agit d’un ensemble de pratiques et techniques de communication visant à influencer l’opinion publique en diffusant volontairement des informations fausses, faussées ou biaisées (4). La désinformation devient genrée lorsqu’elle est propagée à l’encontre de personnalités publiques féminines, en suivant des scénarios qui s’inspirent de la misogynie et des rôles stéréotypés des femmes et des hommes. Cette diffusion, lorsqu’elle cible spécifiquement les femmes, nuit directement à la crédibilité des personnes visées et peut avoir un impact psychologique profond, mais aussi des conséquences néfastes sur l’exercice démocratique de nos sociétés.
Nos systèmes démocratiques reposent sur la transparence et l’accès à l’information, afin que les citoyens et citoyennes puissent faire usage de leur esprit critique et participer au débat public. En période électorale, la désinformation peut émaner d’acteurs et d’actrices divers et variés : individus proches de gouvernements, services de police, armée ou encore partis politiques, acteurs et actrices non-étatiques, comptes extrémistes, médias non-indépendants, citoyens et citoyennes lambda. À travers ce flot d’informations, il n’est pas rare que certaines pratiques visent à discréditer les candidats politiques. Les femmes, sont à cet égard, loin d’être épargnées.
Lorsque la désinformation vise spécifiquement les femmes avec des campagnes qui colportent des mensonges entremêlés d’insinuations sexuelles, de menaces et d’un langage misogyne, elle compromet non seulement leur réputation, leur crédibilité ainsi que leur carrière, mais également elle compromet de manière tangible la parité de la participation à la vie démocratique. Ce phénomène alarmant réduit l’espace dont disposent les femmes pour s’impliquer dans la sphère publique et dans la vie politique, et dissuade les jeunes femmes à s’y engager. La désinformation genrée dans la sphère politique réaffirme les préjugés sexistes, les stéréotypes, la misogynie et les valeurs patriarcales.
Des réflexes à adopter
Pour contrer efficacement la désinformation genrée en période électorale, il est impératif que les citoyens et citoyennes remettent en question les sources d’information, croisent les données et consultent une variété de perspectives afin d’obtenir une vision plus complète de la réalité. Notons que trouver la vérité peut parfois s’avérer être un casse-tête, au vu de la masse d’information qui nous touche quotidiennement. Parfois, cliquer sur “Partager” semble plus simple que de constamment confronter ses sources en s’efforçant de comprendre les enjeux et intérêts auxquels nous faisons face.
Quelques questions doivent s’imposer lorsqu’une information nous parvient. Comment puis-je recontextualiser cette information ? Quel est l’objectif de cette information ? Sur quelles sources l’auteur ou l’autrice s’appuie-t-il ou s’appuie-t-elle ? Pourquoi cette information m’est-elle destinée ? Quels sont les acteurs et actrices impliqués ? Cette information décrédibilise-t-elle une personne ou un mouvement ? Cette information renforce-t-elle l’image d’une personne ou d’un mouvement ?
Les autorités, aussi
Rompre avec les discours binaires et simplistes en adoptant une approche nuancée et inclusive du genre, permet de mieux reconnaître et déconstruire la désinformation genrée. En remettant en question les stéréotypes de genre et en reconnaissant la diversité des perspectives féminines, les citoyens et citoyennes peuvent contribuer à affaiblir le phénomène de la désinformation genrée et à promouvoir une représentation plus équitable des femmes en politiques et dans la société en général.
Les autorités, quant à elles, doivent responsabiliser les plateformes numériques en assurant une transparence des données, fournir aux victimes des droits de procédure, comprenant un droit de recours, mettre en place des sanctions et tenir pour responsables les auteurs et autrices de violences en ligne et de désinformation basées sur le genre (7).