L’aide au développement : solidarité internationale ou instrument politique ?

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En ce début d’année 2019, le ministre de la Coopération au développement Alexander De Croo annonce l’annulation du projet de loi visant à réformer la loi du 19 mars 2013 définissant le cadre de la Coopération belge au développement. Une victoire pour le secteur de la coopération non gouvernementale dont l’une des critiques était l’instrumentalisation de plus en plus poussée de la coopération internationale au service de la politique (anti-)migratoire, étrangère et commerciale belge . Le nouveau rapport 2019 du CNCD 11.11.11 souligne également « la volonté d’instrumentalisation croissante de l’aide publique au développement belge au service des politiques migratoires » . Ces critiques nous amènent à nous interroger sur l’essence même de ce concept. Est-il en train de devenir un instrument politique sapant toute promotion d’une solidarité internationale ou l’a-t-il toujours été ?

L’origine de la Coopération au développement

Remontons à la fin de la Seconde Guerre mondiale, époque où est apparue l’aide publique de développement moderne. La naissance du terme ‘’aide au développement’’ ou de l’union lexicale des deux termes que sont ‘’l’aide’’ et ‘’développement’’ fait son apparition dans le fameux point IV du discours d’investiture du président des États-Unis Harry S. Truman qu’il prononça le 20 janvier 1949. Il déclare : « Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens dans le monde vit dans des conditions voisines de la misère. Ils n’ont pas assez à manger. Ils sont victimes de maladies. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. » Et c’est ainsi que le mot ‘’sous-développé » pour désigner les pays qui n’ont pas encore atteint le stade industriel fait son apparition. Terme plus heureux que ceux souvent utilisés à l’époque comme pays ‘’arriérés’’, ‘’attardés’’ ou de ‘‘backward countries’’ bien que ceux-ci étaient utilisés sans choquer [1]Jean-Michel Servet, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non-dits », Revue de la régulation, n°7, printemps 2010.. Il revient donc aux États les plus riches d’aider les États « sous-développés » dans leur développement économique [2]Ibid. avec pour effet de générer une vision économétrique [3]L’économétrie est une vision comptable et mathématique de l’économie. du monde. Les nations et les peuples ne sont plus considérés dans leurs diversités culturelles, sociales et humaines mais sont catalogués « pays sous-développés » ou « pays-développés » selon leur produit intérieur brut par habitant (PIB/habitant) .

Le contexte de l’époque marquée par la reconstruction européenne et asiatique, et la décolonisation explique que l’aide au développement apparaît finalement comme le « relais de la ‘’mission civilisatrice’’ du temps des colonies comme nouvel objectif messianique » [4]Ibid.. Cette époque est également marquée par la guerre froide entre les États-Unis et l’Union Soviétique divisant le monde en deux camps. Une guerre avec comme arme la diplomatie et le jeu d’influences. Face à la montée d’influence communiste dans de nombreux pays (les Philippines, l’Indochine, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Soudan, etc.), l’aide au développement constitue le parfait instrument afin d’endiguer cette expansion communiste [5]Jean-Michel Servet, op.cit.. L’aide au développement est donc au service de la politique américaine.

Le développement : un concept sous le feu des critiques

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? L’aide au développement est-elle utilisée comme un instrument politique ou permet-elle de favoriser une solidarité internationale ?

Au niveau international, plusieurs acteurs se partagent le champ d’action de l’aide au développement.
En 1961, est fondé le Comité d’aide au développement (CAD), une structure de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (« OCDE ») conçue pour collecter les statistiques et faciliter les échanges de ‘’bonnes pratiques’’ en la matière. Ce comité définit l’aide publique au développement comme étant les transferts à destination des pays en développement –selon la définition du CAD- dont le développement est la priorité et qui consistent soit en des dons, soit en des prêts avec facilités de paiement. Le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) est créé en 1965. Depuis, le nombre d’institutions n’a cessé d’augmenter et de nouveaux acteurs sont apparus : organisations non gouvernementales, collectivités locales, secteur privé, etc. [6]Olivier Charnoz et Jean-Michel Severino, L’aide publique au développement, La Découverte, 2007. Au niveau national, les acteurs étatiques de la coopération belge au développement sont, outre le ministre de la coopération au développement, la Coopération technique belge (« CTB ») rebaptisée depuis Enabel et la DGD au sein du SPF Affaires Etrangères.

De par leurs actions, tous ces acteurs ont façonné le concept de l’aide au développement qui vise le transfert bénéfique de ressources des pays développés vers les pays sous-développés. Sur la scène internationale, les organismes internationaux (ONU, PNUD) représentant la communauté internationale en matière d’aide ont ainsi déterminé ce que devraient être les priorités de l’aide au développement, ses objets fondamentaux avec la publication en 2000 des « Objectifs de développement pour le millénaire ». Dans ces objectifs du Millénaire, il s’agit donc de préciser les objets sur lesquels l’aide au développement devrait porter, quels sont les supports concrets afin de garantir une aide efficace. Il est aussi question du niveau de société des pays en développement mesuré par l’espérance de vie, le niveau d’alphabétisation et du fonctionnement institutionnel. Selon les niveaux de leur société, les pays en développement ne sont plus rangés dans la même catégorie comme ‘’tiers monde’’, ‘’périphérie’’ ou ‘’sud’’ J[7]ean-Michel Servet, op.cit.. Notons également le glissement subtil, mais important du concept de ‘’pays sous-développés’’ vers celui de ‘’pays en développement’’. Ce glissement de vocabulaire témoigne de la volonté d’éviter toute connotation négative. Sur la scène belge, il convient notamment de regarder la loi du 19 mars 2013. Celle-ci définit la coopération belge au développement comme « la politique et les actions fédérales belges en matière de coopération au développement menées par des canaux gouvernementaux, multilatéraux et non gouvernementaux. »

Soulignons qu’il n’est plus question ‘’d’aide’’ mais de ‘’coopération’’, terme moins ‘’paternaliste’’ essayant de reléguer au second plan la peur d’une perte d’indépendance dans le chef de l’État bénéficiaire de ladite coopération et d’endiguer peut-être le risque d’une orientation politique du mode de développement. Cette loi définit également l’objectif général de la Coopération au développement comme étant le développement humain durable par le biais d’actions qui contribuent à une économie durable et inclusive pour une amélioration des conditions de vie de la population dans les pays en développement et pour leur développement socio-économique et socio-culturel, afin d’éradiquer la pauvreté, l’exclusion et les inégalités. Les quatre secteurs prioritaires de la Coopération au développement sont les soins de santé, l’enseignement et la formation, l’agriculture et la sécurité alimentaire ainsi que l’infrastructure de base [8]Présentation de Antoinette van Haute, chargée de recherche Coopération au développement auprès du CNCD-11.11.11..

L’avantage d’une liste des priorités de l’aide au développement permet « de s’assurer de la moralisation des pratiques de l’aide, à la fois du côté du pays donateur — qui voit se restreindre le champ de son influence financière à un jeu circonscrit de biens et services fondamentaux — et du côté du pays bénéficiaire — dont les élites dirigeantes sont elles aussi liées par le panier de biens défini a priori » [9]Jean-Michel Servet, op.cit..

Il convient de se rappeler que l’aide au développement a de tout temps fait l’objet de critiques, critiques présentant parfois l’aide au développement comme un oxymore, une figure juxtaposant des éléments opposés, supposant que l’aide a des effets contraires à la poursuite même du développement Ibid.. Dans son article « de l’aide à la recolonisation », le journaliste Tibor Mende souhaite démythifier l’apport de ressources extérieures sous la forme d’aide qui, selon lui, ne permet pas les changements structurels nécessaires au développement Ibid..

Pour une solidarité internationale réelle

Sans aller aussi loin dans sa critique, le rapport 2019 sur l’aide belge au développement souligne les carences de la politique belge en la matière. Elle dénonce notamment le manque d’investissement de la part de l’Etat belge qui entre en contradiction avec l’objectif fixé par la loi d’atteindre 0,7% du revenu national brut (RNB-plus ou moins équivalent au PIB) pour l’aide au développement. Cela fait 50 ans que la Belgique s’y est engagée mais n’atteint pas ce résultat. Cette réalité est même justifiée par la volonté, selon Alexandre de Croo, de mettre l’accent sur l’efficacité de l’aide au développement de la Belgique plutôt que sur sa quantité, à savoir l’augmentation des budgets [10]CNCD, op.cit.. Cette explication témoigne d’une volonté de privilégier avant tout une recherche d’efficience qui risque parfois de se faire au détriment des pays bénéficiaires et de faire de l’aide au développement un instrument de politique internationale dans le sens le moins noble du terme. Utiliser l’aide au développement comme un instrument politique n’est pas condamnable en soi, pour autant que l’objectif soit louable, comme l’instauration d’une réelle solidarité internationale. En effet, il convient d’éviter de donner raison à Emmanuel Bove, écrivain français de l’avant-guerre, lorsqu’il énonce que « rien de plus trompeur que la bonne intention, car elle donne l’illusion d’être le bien lui-même » [11]Emmanuel Bove (1935), « Le Présentiment » Paris, Le Castor Astral, 2006, p.105, auteur cité par Jean-Michel Servet, op.cit..

« Les solidarités définissent une société : ainsi l’étude des flux gratuits entre les nations peut-elle nous renseigner sur la construction d’une société globale qui complèterait heureusement l’économie mondiale [12]Guillaume Daudin & Bruno Ventelou, “Aide au développement – Sommes-nous plus ou moins solidaires?”, Revue de l’OFCE, vol. no 85, no. 2, 2003, pp. 297-310. »
Guillaume Daudin et Bruno Ventelou

Laetitia Belsack.

Documents joints

Notes

Notes
1 Jean-Michel Servet, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non-dits », Revue de la régulation, n°7, printemps 2010.
2 Ibid.
3 L’économétrie est une vision comptable et mathématique de l’économie.
4 Ibid.
5 Jean-Michel Servet, op.cit.
6 Olivier Charnoz et Jean-Michel Severino, L’aide publique au développement, La Découverte, 2007.
7 ean-Michel Servet, op.cit.
8 Présentation de Antoinette van Haute, chargée de recherche Coopération au développement auprès du CNCD-11.11.11.
9 Jean-Michel Servet, op.cit.
10 CNCD, op.cit.
11 Emmanuel Bove (1935), « Le Présentiment » Paris, Le Castor Astral, 2006, p.105, auteur cité par Jean-Michel Servet, op.cit.
12 Guillaume Daudin & Bruno Ventelou, “Aide au développement – Sommes-nous plus ou moins solidaires?”, Revue de l’OFCE, vol. no 85, no. 2, 2003, pp. 297-310.
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