Nos GSM, en plus d’être produits à base de « minerais des conflits », d’avoir une empreinte écologique très lourde et d’être assemblés dans des usines d’Asie aux conditions de travail déplorables, contribuent à créer des montagnes de déchets problématiques, de plus en plus hautes chaque année… et elles aussi « délocalisées » dans les pays du Sud.
On appelle ce phénomène « loi de Moore » : la puissance des processeurs de nos ordinateurs et smartphones ne cesse d’augmenter, rendant chaque équipement électronique de plus en plus rapidement obsolète. On remplace alors l’appareil dépassé pour s’adapter aux évolutions, car souvent, suivant l’ingénieuse stratégie de l’« obsolescence programmée », les nouveaux logiciels ne peuvent pas être installés sur les anciens systèmes opératoires. Même combat pour les pièces détachables, qui changent à chaque génération de produit, ou pour les batteries intégrées qui ne durent qu’en moyenne 18 mois, contraignant l’utilisateur au rachat plutôt qu’à la réparation. Ces données du marché de l’électronique expliquent pourquoi nos
e-déchets s’accumulent de manière vertigineuse. D’autant plus que l’électronique est devenue omniprésente dans nos vies : le taux de pénétration de la téléphonie mobile dans le monde, par exemple, est de 96%.
Les déchets électroniques sont ainsi, de toute la création humaine, la catégorie de déchets qui connaît la plus grosse croissance. Selon le programme environnemental de l’ONU (UNEP), nous produisons chaque année jusqu’à 50 millions de tonnes de déchets électroniques (c’est l’équivalent de plus de 8 pyramides de Gizeh, chaque année), et on prévoit d’atteindre 65,4 tonnes en 2017. Pour la Belgique, cela représente près de 25 kg, par an, par personne.
Qu’advient-il de tous ces déchets ? Selon l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 90% des équipements électroniques déclassés en France ne sont pas recyclés mais probablement stockés à domicile, déposés en décharge ou incinérés. Une étude publiée dans la revue
Environmental Science and Technology complète ce tableau en révélant qu’un quart des déchets électroniques produits par les pays industrialisés finissent leur vie dans 7 pays d’Afrique et d’Asie.
Un trafic dangereux et illégal
Ce que l’on nomme les DEEE, déchets d’équipements électriques et électroniques, sont ainsi l’objet d’un trafic relativement documenté entre pays du Nord et du Sud. Ces déchets représentent en effet une source parallèle de métaux de base et de métaux nobles, dont les cours sont très élevés et dont les pays en développement ont un besoin croissant. La division internationale du travail, avatar de la mondialisation, s’exprime donc par un transfert du coût du recyclage des pays industrialisés vers les pays en développement. On les retrouve dans des villes-décharges d’Asie et d’Afrique, où des ateliers non protégés opèrent le traitement d’une majorité de DEEE dans le monde. L’association Toxics Link estime par exemple qu’à New Delhi, 70% de l’électronique mise en décharge provient de pays industrialisés.
Les conséquences sanitaires pour les pays récepteurs sont importantes. En effet, ces déchets contiennent un mélange complexe de métaux nobles, de plastiques, de verre, mais aussi de matières dangereuses hautement toxiques pour l’Homme et l’environnement. Parmi celles-ci, on trouve notamment des polluants persistants (arsenic, mercure, cadmium, …) qui, pour éviter les contaminations, doivent être traités de manière appropriée. Même le stockage nécessite une infrastructure adaptée : entasser de l’électronique dans la nature, c’est s’assurer que les eaux souterraines soient contaminées par des métaux lourds. Or la majorité du recyclage en Asie et en Afrique est opéré par le secteur informel non régulé, dans les régions les plus pauvres. Les procédés technologiques « propres » sont complexes et les infrastructures de traitement officielles insuffisantes. Au lieu de cela, les DEEE exportés dans ces régions pauvres du monde finissent dans un bain d’acide (ce qui fait précipiter l’or des cartes mères) ou sur un grill afin de détacher les différentes pièces, avec tous les risques sanitaires associés.
Deux villes-décharges illustrent bien notre propos : ce sont les villes de Guiyu, en Chine, et d’Agbogbloshie, au Ghana. La première, « capitale mondiale des déchets électroniques » entièrement vouée à leur traitement informel, a été pointée du doigt par Greenpeace Chine et le Basel action network. En 1995, Guiyu est passé d’un village paysan pauvre à un centre de traitement informel d’e-déchets. Depuis, ses rivières ont une acidité suffisante pour désintégrer une pièce de monnaie en quelques heures et un niveau de plomb 2400 fois plus élevé que la norme de l’OMS. Les enfants, femmes et hommes qui vivent et travaillent dans ce voisinage n’ont souvent jamais utilisé ni ordinateur, ni imprimante, ni téléphone ; mais le niveau de plomb contenu dans leur sang atteste de leur contact constant avec ces technologies.
Dans la banlieue d’Accra, la capitale ghanéenne, la décharge d’Agbogbloshie est connue pour d’autres chiffres : ses habitants meurent généralement de cancer, autour de 25 ans. Là aussi, l’intoxication au plomb est importante ; les dioxines libérées par l’incinération se retrouvent dans le lait maternel ; les fumées émises charrient des particules de cuivre que les habitants respirent. Comble du comble, l’électronique usagée arrive souvent, sur cet ancien territoire de couvaison pour oiseaux migrateurs, sous couvert d’aide humanitaire au titre d’équipement de seconde main, déclaré en état de marche. Comme le résume un observateur : « C’est un business illégal mais toléré, car il représente une manne financière gigantesque ». Et que certaines vies valent moins que d’autres ?
Traités internationaux et impuissance des États
En réponse à ces développements inquiétants, les Nations Unies ont poussé l’adoption de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Entrée en vigueur en 1992, elle a pour but de réduire les flux de déchets toxiques internationaux et de prévenir ce type de flux vers les pays en développement. Afin d’augmenter la portée de cette convention, un certain nombre de pays en développement et d’associations de défense de l’environnement ont poussé l’adoption de l’Amendement Ban (1995), qui interdit tout échange de déchets contenant des substances toxiques (dont les DEEE) entre les pays membres de l’OCDE et les pays non-OCDE.
Si les États-Unis n’ont ratifié aucun des deux textes, la Communauté Économique Européenne, elle, est liée par la Convention et l’Amendement. En conséquence, l’Europe applique le principe selon lequel la collecte et le traitement des déchets électroniques se font dans le pays de consommation, là où le produit devient un déchet. Pourtant, d’aucuns arguent que le renvoi de déchets électroniques en Asie, où ces appareils ont en grande partie été fabriqués, n’est rien d’autre que logique, surtout étant donnés les besoins en métaux de ces pays. Ne vous y trompez pas : comme le souligne le Basel Action Network, l’exportation de déchets toxiques vers des économies pauvres en vue de leur recyclage ne constitue pas un échange de bons procédés, mais bien un transfert inacceptable de pollution, une garantie d’aggravations spectaculaires des conditions de vie de la population locale et, enfin, une pollution inutile due au transport. Le fait que la main-d’œuvre à bas coût et l’absence d’infrastructure et de standards environnementaux soient exploités, d’abord par des compagnies transnationales pour l’extraction des ressources, et ensuite par des manufactures électroniques pour la production de ces appareils, ne constitue absolument pas une justification pour exploiter à nouveau la même population, au moment de la mise au rebut. Cela revient à faire porter aux pays en développement les étapes les plus polluantes du cycle de vie de ces produits, tandis que les pays développés se contentent de la phase de consommation.
Le gouvernement chinois a bien compris le phénomène et, depuis 2001, ses services douaniers bloquent l’entrée à tout déchet électronique (ou tentent de le faire) : leur importation a été déclarée illégale. À l’autre bout du parcours, les pays européens sont également censés contrôler leurs exportations. Les services douaniers manquent cependant cruellement de moyens… Pour un trafic total d’environ onze millions de conteneurs par an, le nombre de contrôles effectués dans les ports belges est d’un millier. Des entreprises européennes peu scrupuleuses continuent donc sans crainte à faire passer leurs exports de déchets électroniques pour des dons d’équipement de seconde main.
Des gestes au Nord
Réalisatrice d’un documentaire sur l’obsolescence programmée, Cosima Dannoritzer s’interroge face à l’amoncellement des déchets électroniques : « On ne peut pas contrôler chaque container dans chaque port (…) il faut réagir. Ne peut-on pas réparer ces appareils et les utiliser plus longtemps ? Ne peut-on pas produire moins de déchets ? ».
Pour réduire la quantité de déchets, une combinaison de plusieurs efforts est nécessaire : allonger le temps de vie des appareils, en faciliter le recyclage et la réparation, et limiter les ressources nécessaires et la pollution engendrée par la construction (on parle de « déchets cachés »). Si ces modifications sont du ressort des constructeurs à l’étape de la conception du produit, les citoyens n’en ont pas moins, eux aussi, un rôle à jouer dans la réduction des déchets et leur recyclage.
Une étude de la commission européenne estime qu’en Europe, seuls 7% des téléphones usés sont recyclés, et que le reste est principalement stocké à domicile par les citoyens. En France, chaque adulte garderait 3 à 4 téléphones portables dont il n’a plus l’usage. Ceci explique l’écart entre le nombre de téléphones vendus et celui des téléphones récoltés pour recyclage. Pour changer cette donne, les pays de l’Union européenne ont développé des systèmes de reprise gratuite des déchets électroniques et se sont fixé pour objectif de parvenir, en 2019, à un taux de collecte de 85% des DEEE produits. Il faut dire qu’un des défis de l’Union est de réduire sa dépendance envers les autres régions, et ce qui vaut pour l’énergie vaut également pour les minéraux non énergétiques. En cette matière, le recyclage peut s’avérer très rentable, pour autant qu’on dispose de la technologie adaptée : une tonne de GSM usagés fournit 300 grammes d’or, alors qu’une tonne de minerai aurifère n’en fournit que 3 grammes. Dans le secteur du recyclage, on parle d’ailleurs de « gisement » de déchets, et il n’est pas rare qu’un collecteur paie les appareils usagés qu’il reprend. Mais comment s’assurer que ces repreneurs suivent bien la filière légale et n’envoient pas nos appareils électroniques usagés dans des ateliers non protégés au Sud ?
Le système Recupel
Le système de collecte et traitement des DEEE existe en Belgique depuis juillet 2001. Il est géré par Recupel, qui collecte ces déchets via les magasins d’électroménager et de téléphonie, les parcs à conteneurs et les centres de réutilisation. Les téléphones et autre électronique collectés par la filière Recupel sont traités par des entreprises de recyclage autorisées et sélectionnées. Le traitement des déchets effectué dans ce système garantit le respect des législations sanitaires et sociales et des engagements internationaux de la Belgique, ainsi que l’utilisation de technologies adaptées pour la dépollution (cadmium dans les batteries), la récupération des matériaux précieux, la prévention d’émissions de dioxines et la récupération d’énergie (lors de l’incinération).
Depuis que la directive européenne sur les DEEE a instauré l’« obligation de reprise », tout vendeur d’équipement électrique et électronique a l’obligation de reprendre les appareils usagés qu’il vend (même si l’appareil ne vient pas précisément de son magasin : s’il vend ce type d’appareils, il doit aussi les reprendre). La responsabilité du traitement leur revient, et pour ce faire, une partie d’entre eux fonctionnent avec Recupel, tandis que les autres vendent ces déchets à des collecteurs et recycleurs privés (dont un certain nombre sont par ailleurs partenaires Recupel). Assurez-vous donc que votre magasin collabore avec Recupel.
Autre lieu de collecte Recupel : le parc à conteneurs, où on trouve des « maisons Recupel ». Enfin, en Région bruxelloise et en Wallonie, les centres de réutilisation (ou ressourceries) rassemblés par le réseau Res’sources jouent un double rôle : ils envoient à Recupel les appareils irrécupérables qui leur parviennent, et réparent et revendent ceux (récoltés par eux ou par Recupel via d’autres voies) qui sont encore en état de marche. Un échange se fait donc entre ces deux acteurs pour le reconditionnement chez les uns et le recyclage chez l’autre.
Recycler ne suffit pas
Notre système de consommation produit des effets parfois pervers. Le « paradoxe de Jevons », par exemple, désigne le fait qu’utiliser des machines moins consommatrices d’énergie ne diminue pas la consommation globale mais entraîne au contraire l’utilisation de plus de machines, contrebalançant les économies d’énergie… et transformant les choix responsables en de véritables casse-têtes. Nos batteries de téléphones portables illustrent bien ce paradoxe. Nous avons tous pu remarquer que, si nos téléphones sont capables de nous rendre de plus en plus de services, leur batterie dure de moins en moins longtemps ; pourtant, la capacité des batteries a augmenté, mais en termes relatifs (par rapport aux performances de l’appareil), alors qu’elle a baissé en termes absolus… augmentant d’autant notre production de déchets électroniques. Loin de nous faire remplacer nos ordinateurs, l’apparition des smartphones nous a simplement amenés à être plus souvent connectés, et donc à consommer plus d’électronique (sans même parler des serveurs nécessaires pour stocker toutes les informations échangées, en croissance exponentielle). Morale de l’histoire : les progrès technologiques n’ont pas automatiquement pour effet de réduire les répercussions écologiques et sociales de notre consommation. Sans forcément se transformer en ermite, il nous faut être conscients de ces effets pervers et adopter des comportements responsables.
Une pression citoyenne doit être mise sur les producteurs pour qu’ils utilisent plus de matériaux recyclés. Il n’existe aucun portable entièrement fabriqué à partir de matériaux recyclés, et il n’en existera jamais : tous les matériaux ne se prêtent pas au recyclage. Qu’importe : les constructeurs devraient chercher à utiliser plus de matières recyclées s’ils veulent se montrer responsables dans leur activité.
À travers nos choix de consommation également, nous pouvons encourager les constructeurs d’appareils plus équitables et mieux conçus. Parmi les initiatives à encourager, citons le Fairphone, qui en plus d’une politique d’approvisionnement responsable, permet aux utilisateurs de remplacer batterie et écran eux-mêmes (en achetant à la firme la pièce à remplacer et un kit de réparation), reprend sans frais de port ses téléphones usagés (qui sont alors recyclés aux Pays-Bas) et collabore avec la fondation Closing the Loop pour le recyclage des déchets électroniques au Ghana.
Réparer, réutiliser, réduire
Autres gestes : ne gardez pas vos anciens téléphones si vous n’en avez plus l’usage. Un appareil utilisé jusqu’au bout, c’est potentiellement un achat d’appareil neuf en moins, donc moins de déchets. Par conséquent, donnez ou vendez votre matériel inutilisé. Parmi les associations qui reprennent les portables et autre matériel informatique pour les reconditionner ou les envoyer au recyclage : les Petits Riens, Oxfam Solidarité, Droit et Devoir, CF2M, Tac Tic informatique, l’Atelier TIC Tanneurs, La Poudrière, Emmaüs, … Ils font partie du réseau Res’sources, qui rassemble des entreprises d’économie sociale et est partenaire de Recupel.
Si votre téléphone est récent, des sites tels que « Love2Recycle.be » vous rémunèreront pour la reprise (les appareils récoltés sont vendus à des recycleurs partenaires de Recupel). Le site « MonExTel.com » vous permet même de transformer cet argent en don pour une bonne cause !
Nous rechignons souvent à nous débarrasser de notre précieux portable, même lorsqu’il nous lâche. C’est une excellente raison pour chercher à le réparer. Pensez-y : la réparation ne permet pas seulement un rallongement de la durée de vie de nos appareils, elle crée aussi plus d’emplois que le recyclage. A côté des réparateurs payants (tels « EtSiOnReparait.be »), vous trouverez des conseils sur « CommentReparer.com » et « IfixIt.com ». Mieux, vous pouvez organiser un Repair Café dans votre quartier et faire appel aux talents locaux, et peut-être même susciter des vocations !
Enfin, vous pouvez adopter le matériel de seconde main et vous refuser à courir après le renouvellement. Le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas.
Céline Remy
Chargée d’études à Justice et Paix
POUR ALLER PLUS LOIN
-« Sur la piste des mafias de l’environnement : la route clandestine des déchets électroniques », Le Monde, février 2015
-« Le recyclage des déchets électriques et électroniques : un impératif sanitaire, écologique et économique », Les Amis de la Terre, mai 2014, www.amisdelaterre.org/Le-recyclage-des-dechets.html
-« Guiyu: An E-Waste Nightmare », Greenpeace,
www.greenpeace.org/eastasia/campaigns/toxics/problems/e-waste/guiyu
-« Agbogbloshie: the world’s largest e-waste dump – in pictures », The Guardian, février 2014, www.theguardian.com/environment/gallery/2014/feb/27/agbogbloshie-worlds-largest-e-waste-dump-in-pictures
-« Le Ghana : poubelle pour les « e-déchets » », Géo, janvier 2009,
www.geo.fr/environnement/actualite-durable/le-ghana-poubelle-pour-les-e-dechets-25740
-« Ma poubelle est un trésor », documentaire de Martin Meissonnier & Pascal Signolet, 2010 (extrait disponible sur www.youtube.com/watch?v=a1VdZiX1qy0)
Lire aussi :
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Guerres et GSM
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Minerais des conflits à l’Est de la RD Congo : une réalité changeante mais toujours prégnante
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Sur la piste des minerais du sang (L’Echo, 19 mars 2015)
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Pourquoi des mineurs d’âge sont devenus mineurs d’or (Le Soir, 31 janvier 2015)
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Le Parlement européen fait un pas en avant historique dans la lutte contre les « minerais du sang »
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