Nos GSM, en plus d’être produits à base de « minerais des conflits », d’avoir une empreinte écologique très lourde et d’être assemblés dans des usines d’Asie aux conditions de travail déplorables, contribuent à créer des montagnes de déchets problématiques, de plus en plus hautes chaque année… et elles aussi « délocalisées » dans les pays du Sud.
On appelle ce phénomène « loi de Moore » : la puissance des processeurs de nos ordinateurs et smartphones ne cesse d’augmenter, rendant chaque équipement électronique de plus en plus rapidement obsolète. On remplace alors l’appareil dépassé pour s’adapter aux évolutions, car souvent, suivant l’ingénieuse stratégie de l’« obsolescence programmée »[1]L’expression « obsolescence programmée » désigne une composante essentielle de notre système économique basé sur la croissance : c’est l’ensemble des techniques par lesquelles un … Continuer la lecture, les nouveaux logiciels ne peuvent pas être installés sur les anciens systèmes opératoires. Même combat pour les pièces détachables, qui changent à chaque génération de produit, ou pour les batteries intégrées qui ne durent qu’en moyenne 18 mois, contraignant l’utilisateur au rachat plutôt qu’à la réparation. Ces données du marché de l’électronique expliquent pourquoi nos e-déchets s’accumulent de manière vertigineuse. D’autant plus que l’électronique est devenue omniprésente dans nos vies : le taux de pénétration de la téléphonie mobile dans le monde, par exemple, est de 96%[2]Le taux de pénétration de la téléphonie mobile est le rapport entre le nombre de téléphones en usage et la population. Dans les pays industrialisés, ce taux est supérieur à 100% (à … Continuer la lecture.
Les déchets électroniques sont ainsi, de toute la création humaine, la catégorie de déchets qui connaît la plus grosse croissance. Selon le programme environnemental de l’ONU (UNEP), nous produisons chaque année jusqu’à 50 millions de tonnes de déchets électroniques (c’est l’équivalent de plus de 8 pyramides de Gizeh, chaque année), et on prévoit d’atteindre 65,4 tonnes en 2017. Pour la Belgique, cela représente près de 25 kg, par an, par personne.
Qu’advient-il de tous ces déchets ? Selon l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 90% des équipements électroniques déclassés en France ne sont pas recyclés mais probablement stockés à domicile, déposés en décharge ou incinérés. Une étude publiée dans la revue Environmental Science and Technology complète ce tableau en révélant qu’un quart des déchets électroniques produits par les pays industrialisés finissent leur vie dans 7 pays d’Afrique et d’Asie.
Les conséquences sanitaires pour les pays récepteurs sont importantes. En effet, ces déchets contiennent un mélange complexe de métaux nobles, de plastiques, de verre, mais aussi de matières dangereuses hautement toxiques pour l’Homme et l’environnement. Parmi celles-ci, on trouve notamment des polluants persistants (arsenic, mercure, cadmium, …) qui, pour éviter les contaminations, doivent être traités de manière appropriée. Même le stockage nécessite une infrastructure adaptée : entasser de l’électronique dans la nature, c’est s’assurer que les eaux souterraines soient contaminées par des métaux lourds. Or la majorité du recyclage en Asie et en Afrique est opéré par le secteur informel non régulé, dans les régions les plus pauvres. Les procédés technologiques « propres » sont complexes et les infrastructures de traitement officielles insuffisantes. Au lieu de cela, les DEEE exportés dans ces régions pauvres du monde finissent dans un bain d’acide (ce qui fait précipiter l’or des cartes mères) ou sur un grill afin de détacher les différentes pièces, avec tous les risques sanitaires associés.
Deux villes-décharges illustrent bien notre propos : ce sont les villes de Guiyu, en Chine, et d’Agbogbloshie, au Ghana. La première, « capitale mondiale des déchets électroniques » entièrement vouée à leur traitement informel, a été pointée du doigt par Greenpeace Chine et le Basel action network. En 1995, Guiyu est passé d’un village paysan pauvre à un centre de traitement informel d’e-déchets. Depuis, ses rivières ont une acidité suffisante pour désintégrer une pièce de monnaie en quelques heures et un niveau de plomb 2400 fois plus élevé que la norme de l’OMS. Les enfants, femmes et hommes qui vivent et travaillent dans ce voisinage n’ont souvent jamais utilisé ni ordinateur, ni imprimante, ni téléphone ; mais le niveau de plomb contenu dans leur sang atteste de leur contact constant avec ces technologies.
Dans la banlieue d’Accra, la capitale ghanéenne, la décharge d’Agbogbloshie est connue pour d’autres chiffres : ses habitants meurent généralement de cancer, autour de 25 ans. Là aussi, l’intoxication au plomb est importante ; les dioxines libérées par l’incinération se retrouvent dans le lait maternel ; les fumées émises charrient des particules de cuivre que les habitants respirent. Comble du comble, l’électronique usagée arrive souvent, sur cet ancien territoire de couvaison pour oiseaux migrateurs, sous couvert d’aide humanitaire au titre d’équipement de seconde main, déclaré en état de marche. Comme le résume un observateur : « C’est un business illégal mais toléré, car il représente une manne financière gigantesque »[4]Nyaba Ouedraogo, un photographe franco-burkinabé qui a enquêté sur place en janvier et novembre 2008, décrit ainsi le parcours-type : « les Ghanéens installés en Europe et aux États-Unis … Continuer la lecture. Et que certaines vies valent moins que d’autres ?
Le système de collecte et traitement des DEEE existe en Belgique depuis juillet 2001. Il est géré par Recupel, qui collecte ces déchets via les magasins d’électroménager et de téléphonie, les parcs à conteneurs et les centres de réutilisation. Les téléphones et autre électronique collectés par la filière Recupel sont traités par des entreprises de recyclage autorisées et sélectionnées. Le traitement des déchets effectué dans ce système garantit le respect des législations sanitaires et sociales et des engagements internationaux de la Belgique, ainsi que l’utilisation de technologies adaptées pour la dépollution (cadmium dans les batteries), la récupération des matériaux précieux, la prévention d’émissions de dioxines et la récupération d’énergie (lors de l’incinération).
Depuis que la directive européenne sur les DEEE a instauré l’« obligation de reprise », tout vendeur d’équipement électrique et électronique a l’obligation de reprendre les appareils usagés qu’il vend (même si l’appareil ne vient pas précisément de son magasin : s’il vend ce type d’appareils, il doit aussi les reprendre). La responsabilité du traitement leur revient, et pour ce faire, une partie d’entre eux fonctionnent avec Recupel, tandis que les autres vendent ces déchets à des collecteurs et recycleurs privés (dont un certain nombre sont par ailleurs partenaires Recupel). Assurez-vous donc que votre magasin collabore avec Recupel.
Autre lieu de collecte Recupel : le parc à conteneurs, où on trouve des « maisons Recupel ». Enfin, en Région bruxelloise et en Wallonie, les centres de réutilisation (ou ressourceries) rassemblés par le réseau Res’sources jouent un double rôle : ils envoient à Recupel les appareils irrécupérables qui leur parviennent, et réparent et revendent ceux (récoltés par eux ou par Recupel via d’autres voies) qui sont encore en état de marche. Un échange se fait donc entre ces deux acteurs pour le reconditionnement chez les uns et le recyclage chez l’autre.
Une pression citoyenne doit être mise sur les producteurs pour qu’ils utilisent plus de matériaux recyclés. Il n’existe aucun portable entièrement fabriqué à partir de matériaux recyclés, et il n’en existera jamais : tous les matériaux ne se prêtent pas au recyclage. Qu’importe : les constructeurs devraient chercher à utiliser plus de matières recyclées s’ils veulent se montrer responsables dans leur activité.
À travers nos choix de consommation également, nous pouvons encourager les constructeurs d’appareils plus équitables et mieux conçus. Parmi les initiatives à encourager, citons le Fairphone[8]www.fairphone.com/roadmap/lifecycle/. Via un approvisionnement en minéraux propres et traçables en RDC et un fonds pour le bien-être dans son usine chinoise, le Fairphone constitue un pas dans la … Continuer la lecture, qui en plus d’une politique d’approvisionnement responsable, permet aux utilisateurs de remplacer batterie et écran eux-mêmes (en achetant à la firme la pièce à remplacer et un kit de réparation), reprend sans frais de port ses téléphones usagés (qui sont alors recyclés aux Pays-Bas) et collabore avec la fondation Closing the Loop pour le recyclage des déchets électroniques au Ghana.
Documents joints
Notes[+]
| ↑1 | L’expression « obsolescence programmée » désigne une composante essentielle de notre système économique basé sur la croissance : c’est l’ensemble des techniques par lesquelles un producteur vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Voir à ce sujet le documentaire « Prêt à jeter » réalisé par Cosima Dannoritzer en 2010 (future.arte.tv/fr/sujet/pret-jeter). |
|---|---|
| ↑2 | Le taux de pénétration de la téléphonie mobile est le rapport entre le nombre de téléphones en usage et la population. Dans les pays industrialisés, ce taux est supérieur à 100% (à Hong-Kong, il dépasse même la barre des 200). Les pays du Sud connaissent eux aussi une croissance importante (voir l’article « L’’Afrique, la plus forte perspective mondiale pour le mobile », www.tactis.fr/?p=1448), avec en tête les pays émergents (BRICS). Des chiffres plus récents (et donc plus grands) sont agrégés sur en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_number_of_mobile_phones_in_use. |
| ↑3 | Étant donnée la faiblesse des normes légales sur les plans social et environnemental (et de leur mise en application), le coût financier du traitement des déchets électroniques est dix fois moindre dans les pays du Sud que dans ceux du Nord. |
| ↑4 | Nyaba Ouedraogo, un photographe franco-burkinabé qui a enquêté sur place en janvier et novembre 2008, décrit ainsi le parcours-type : « les Ghanéens installés en Europe et aux États-Unis récupèrent les vieux ordinateurs et les envoient par bateau au port de Tema, où des grossistes rachètent les stocks. Les machines sont ensuite acheminées vers la décharge d’Accra, où des acheteurs les récupèrent pour les faire brûler par des enfants. Le cuivre récupéré est alors revendu aux Nigérians ou aux Indiens, qui le transforment notamment pour fabriquer les bijoux bon marché vendus en Europe… » (www.geo.fr/environnement/actualite-durable/le-ghana-poubelle-pour-les-e-dechets-25740). |
| ↑5 | Ce qui est à peu près équivalent à un taux de collecte de 65% du poids moyen des équipements électroniques mis sur le marché au cours des trois années précédentes (Directive 2012/19/UE, eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:197:0038:0071:fr:PDF, article 7). En plus d’assurer la collecte et par là d’augmenter le taux de recyclage, l’enjeu est de pouvoir tracer tous les mouvements de déchets et d’assurer que ceux-ci se font dans le respect des législations. En Belgique, environ 47% de la masse estimée de DEEE sortis du marché belge en 2011 ont été enregistrés via Recupel et d’autres entreprises agréées pour la collecte et le recyclage (« Bilan de masse et structure du marché des (D)EEE en Belgique, Rapport final pour le compte de Recupel », FFact, United Nations University, 2011). |
| ↑6 | À ce propos, la société belge Umicore, leader mondial en matière de recyclage des métaux précieux et matériaux complexes, participe à un projet de formation de recycleurs africains de déchets électroniques, en partenariat avec l’organisation WorldLoop (www.agoria.be/fr/Umicore-recompensee-pour-son-travail-en-Afrique). |
| ↑7 | D’après une vidéo didactique de Recupel (www.youtube.com/watch?v=EHhy9r6N_jY). |
| ↑8 | www.fairphone.com/roadmap/lifecycle/. Via un approvisionnement en minéraux propres et traçables en RDC et un fonds pour le bien-être dans son usine chinoise, le Fairphone constitue un pas dans la direction d’un smartphone à la fois efficace et équitable, rentable et responsable. Un plus pour les geeks : il est aussi ouvert à la modification du système d’exploitation. Un autre projet intéressant (sans l’aspect « équitable ») est le Phonebloks, à l’origine du projet Ara, pour lequel toutes les pièces détachées pourraient être achetées séparément, ce qui rendrait la réparation plus simple (phonebloks.com/en/about et www.projectara.com/faq/). |
| ↑9 | www.res-sources.be |
| ↑10 | www.repaircafe.be/fr/a-propos-du-repair-cafe |






