Que penser des effets bénéfiques de la migration en Europe ? Quel est son rôle essentiel dans le renouvellement démographique et la croissance économique des nations vieillissantes ? Face à des défis démographiques croissants, la migration présente des bénéfices insoupçonnés. Cet article explore les contributions économiques et démographiques des citoyen·nes d’origines étrangères, contrecarrant les peurs souvent amplifiées par le populisme.
La Belgique, située au cœur de l’Europe, est souvent perçue comme un carrefour des cultures et des migrations. Cependant, la question de la migration est souvent abordée sous un angle critique, particulièrement sous l’influence de mouvements d’extrême droite. Pourtant, les données disponibles dépeignent une image plus nuancée et largement positive de l’impact de la migration. Cet article vise à clarifier ces impacts en se concentrant sur les contributions démographiques et économiques des citoyen·nes d’origines étrangères ainsi que sur les défis et les opportunités pour les décideurs, décideuses et la population belge.
Historiquement, les migrations ont toujours joué un rôle central dans le développement des sociétés. En Europe, les mouvements migratoires ont façonné les dynamiques démographiques et culturelles depuis des siècles, depuis les migrations de masse durant les guerres jusqu’aux flux migratoires contemporains motivés par des opportunités économiques. Dans le monde, les migrations Sud-Sud, où la majorité des déplacements se font entre les pays en développement, sont prédominantes.
Selon l’ONU, environ 80 % des migrations africaines se font entre les pays du Sud, montrant que la mobilité humaine sur le continent est majoritairement régionale. Cette réalité est souvent sous-estimée dans les débats publics occidentaux, où les migrations sont fréquemment perçues comme des mouvements principalement dirigés vers le Nord. Les données révèlent que la majorité des primo-arrivants africains choisissent de s’installer dans des pays voisins au sein de la même région, soulignant l’importance des dynamiques intrarégionales dans les migrations africaines (United Nations Press).
Rappelons que la Belgique, au XIXe siècle, était avant tout une terre d’émigration. À cette époque, de nombreux Belges quittaient leur pays pour des raisons économiques, fuyant la pauvreté et cherchant de meilleures opportunités à l’étranger[1]. Les destinations principales incluaient les États-Unis, le Canada, et l’Amérique latine, où les Belges espéraient trouver des conditions de vie meilleures et de nouvelles perspectives économiques[2].
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la Belgique a commencé à se transformer en une terre d’immigration. Avec la reconstruction de l’Europe et le besoin croissant de main-d’œuvre pour soutenir le boom économique des années 1950 et 1960, la Belgique a accueilli un grand nombre de travailleurs étrangers[3]. Les premiers flux importants de migrants sont venus principalement des pays voisins, comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, et plus tard du Maroc et de la Turquie. Ces travailleurs ont joué un rôle crucial dans le développement industriel belge, particulièrement dans les secteurs du charbonnage, de la construction et de la sidérurgie.
En Belgique, comme dans d’autres pays européens, les primo-arrivants jouent aujourd’hui un rôle crucial dans la démographie. Actuellement, la démographie en Belgique est marquée par un taux de natalité de 1,4 enfants par femme, bien en deçà du seuil de remplacement des générations, qui est de 2,1 enfants par femme[4]. Ce taux insuffisant pour assurer le renouvellement de la population conduit à un vieillissement progressif de la population belge.
La migration apparaît alors comme une solution partielle mais essentielle à ce défi démographique. Les primo-arrivants, souvent plus jeunes que la population autochtone, apportent un dynamisme nécessaire pour compenser les faibles taux de natalité. En contribuant à la population active, ils aident à maintenir un équilibre démographique et soutiennent les systèmes de protection sociale, essentiels dans une société vieillissante.
Face au problème d’augmentation de plus en plus croissante en âge des populations européennes, les personnes issues des migrations semblent apporter un dynamisme jeune et nécessaire. Selon les données d’Eurostat, les non-nationaux représentaient environ 13,5 % de la population belge en 2023. Cette proportion n’est pas seulement un chiffre, mais reflète des individus qui contribuent activement à la société, notamment par leur travail et leur culture.
Les primo-arrivants en Belgique sont généralement plus jeunes que la population native, ce qui est crucial pour le marché du travail et les systèmes de sécurité sociale. Leur intégration dans le marché du travail belge, bien que confrontée à des défis, montre des signes d’amélioration grâce à des politiques ciblées d’intégration et de formation.
Sur le plan économique, les primo-arrivants ont un impact significatif. Ils contribuent à la diversité des compétences et des talents disponibles sur le marché du travail. En Belgique, les secteurs tels que la construction, les soins de santé et les services sont particulièrement bénéficiaires de l’apport des primo-arrivants. Par ailleurs, les primo-arrivants entreprennent souvent des activités entrepreneuriales, créant des emplois et stimulant l’innovation.
Il est également important de noter que les primo-arrivants contribuent de manière significative aux finances publiques par le biais des impôts et des cotisations sociales. Une étude publiée par l’OECD souligne que les primo-arrivants apportent souvent plus qu’ils ne reçoivent en termes de prestations sociales, contribuant ainsi positivement à l’économie nationale.
Le discours des partis politiques conservateurs, souvent alarmiste, contraste avec la réalité statistique. Dans de nombreux pays de l’UE, le pourcentage de primo-arrivants par rapport à la population totale reste inférieur à 3 %, comme en Roumanie (0,3 %), en Slovaquie et en Pologne. Cette proportion modeste suggère que les impacts sur les ressources et les services sociaux sont moins importants que ce qui est parfois dépeint (European Commission).
En 2022, l’UE a délivré environ 3,5 millions de premiers permis de séjour, dont une grande partie pour des raisons d’emploi. Cela reflète l’importance économique de la migration. La Pologne, par exemple, a délivré le plus grand nombre de ces permis (700 000), suivie par l’Allemagne et l’Espagne.
Ces données montrent que, malgré les discours politiques parfois exagérés, la migration en Europe est gérée de manière à répondre à des besoins économiques tout en maintenant des niveaux de population migrante relativement bas dans de nombreux pays (Statista).
Le rapport « Settling In: Indicators of Immigrant Integration 2023″ révèle des avancées dans l’intégration des primo-arrivant·es, notamment dans les domaines du travail et de l’éducation, bien que des défis subsistent. Les primo-arrivants atteignent souvent des niveaux d’éducation supérieurs et sont de plus en plus inclus·es dans la main-d’œuvre, offrant des avantages potentiels significatifs pour les économies des pays d’accueil.
Malgré tout, l’intégration des primo-arrivant·es est souvent entravée par la discrimination, en particulier pour ceux et celles sans statut régulier, affectant leurs conditions de travail et leurs droits sociaux. Les personnes sans statut régulier travaillent également. Leur apport à la société est donc bien présent, bien que non comptabilisé dans les chiffres officiels.
Selon une étude du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique (Unia), les personnes migrantes, y compris celles sans statut régulier, font face à des taux de discrimination plus élevés dans l’accès à l’emploi. En Belgique, en 2020, 36 % des plaintes reçues par Unia concernaient la discrimination basée sur l’origine ethnique, en particulier pour l’accès au travail.
En outre, les « sans-papiers », sont, le plus souvent forcées de travailler dans des secteurs informels et précaires. En France, par exemple, près de 90 % des personnes sans papiers travaillent dans des secteurs vulnérables, tels que la construction, la restauration et le nettoyage[5]. Elles sont souvent victimes d’exploitation et ne bénéficient pas des protections légales.
Une étude a montré également que les personnes sans papiers aux États-Unis, bien qu’elles soient exclues des statistiques officielles, représentaient environ 5 % de la main-d’œuvre totale[6]. Leur contribution économique est souvent ignorée dans les données officielles, bien qu’elles paient des impôts indirects comme la TVA et contribuent à des secteurs comme la construction et l’agriculture.
En Belgique, le rapport 2021 du Myria (Centre fédéral Migration) révèle que seules 10 % des personnes sans papiers ont accès à des soins médicaux via l’aide médicale urgente, un droit souvent méconnu.
Des organisations comme Unia, BePax, La Cible, … militent contre les discriminations, l’amélioration des conditions de travail et la lutte contre la discrimination, en considérant la défense des droits des primo-arrivants comme intrinsèquement liée à celle de tous·tes les travailleur·ses.
Toutefois, l’intégration des primo-arrivants reste un défi. Les obstacles linguistiques, les différences culturelles et les préjugés peuvent entraver l’intégration efficace des primo-arrivants dans la société belge. Les politiques d’intégration doivent être continuellement adaptées pour favoriser une meilleure compréhension et coopération entre les primo-arrivants et la population belge. Ces politiques d’intégration doivent viser autant les primo-arrivants que les immigrés de seconde génération. On se rend compte que les zones plus pauvres en Belgique sont souvent des zones où les personnes d’origine étrangère sont présentes en plus grand nombre et que beaucoup de jeunes, nés en Belgique, peinent à trouver leur place avec cette double identité.
La participation des primo-arrivants dans les processus décisionnels et publics pourrait également être améliorée. Encourager l’engagement civique des primo-arrivants non seulement enrichit le débat public, mais renforce également la cohésion sociale et le vivre-ensemble.
Pour maximiser ces bénéfices, une intégration efficace est essentielle. La surveillance et le système de rapportage continus assurés par des organismes comme Eurostat et le Réseau européen des Migrations sont indispensables pour éclairer les politiques publiques et ajuster la perception du public sur la migration.
Les opportunités de la migration pour la Belgique
Les primo-arrivants au-delà d’apporter une vitalité démographique nécessaire, enrichissent le marché du travail avec une diversité de compétences et de talents. Ils occupent souvent des emplois dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre comme la construction, les soins de santé et les services. De plus, les primo-arrivants sont fréquemment des entrepreneurs, créant des entreprises qui stimulent l’innovation et génèrent des emplois.
Les primo-arrivants contribuent de manière statistiquement significative aux finances publiques par le biais des impôts et des cotisations sociales. Une étude de l’OECD révèle que les primo-arrivants, en moyenne, apportent davantage en recettes fiscales qu’ils ne coûtent en prestations sociales, renforçant ainsi la stabilité économique.
La migration enrichit la société belge en apportant une diversité culturelle et sociale. Cette diversité favorise l’innovation, la créativité et la compréhension interculturelle, contribuant à une société plus inclusive et dynamique.
Quels défis faut-il surmonter ?
Bien que les contributions des primo-arrivants soient significatives, leur intégration complète dans la société belge reste un défi. Les obstacles linguistiques, les différences culturelles et les préjugés peuvent entraver cette intégration. Il est crucial de mettre en place des politiques d’intégration efficaces, axées sur l’apprentissage de la langue, la reconnaissance des qualifications étrangères et la lutte contre la discrimination.
Le discours xénophobe tend à amplifier les aspects négatifs de la migration, créant une perception publique erronée. Une communication plus transparente basée sur des données précises, comme celles fournies par Eurostat et le Réseau européen des Migrations, est essentielle pour contrer ces perceptions et mettre en avant les bénéfices réels de la migration dans les aménagements du territoire, créer des espaces de rencontre entre les différentes communautés.
Quelles politiques adopter pour une bonne gestion de la migration ?
Une politique migratoire bien conçue, qui favorise à la fois l’attraction de talents et la protection des droits des primo-arrivants, est cruciale. Cela inclut des procédures d’immigration claires, un soutien à l’intégration et des mécanismes pour faciliter la participation civique des primo-arrivants.
La coopération avec d’autres pays de l’UE et au-delà peut aider à gérer les flux migratoires de manière plus efficace. Des initiatives conjointes en matière de gestion des frontières, de partage des responsabilités et de promotion de l’intégration peuvent renforcer les capacités nationales.
Encourager et soutenir l’entrepreneuriat parmi les primo-arrivants peut avoir des retombées économiques positives. Des programmes de microcrédit, de mentorat et de formation peuvent aider les primo-arrivants à créer et à développer des entreprises prospères.
La migration offre de nombreuses opportunités pour la Belgique. Alors que les défis ne doivent pas être ignorés, les perspectives positives l’emportent significativement. Il est essentiel pour les décideur·ses et la société civile de continuer à travailler ensemble pour tirer le meilleur parti des avantages que la migration peut offrir. La Belgique, avec sa tradition d’ouverture et son emplacement stratégique en Europe, a tout à gagner à adopter une approche équilibrée et bien informée de la migration.
En fin de compte, une politique migratoire bien conçue et une intégration réussie peuvent transformer les défis en puissants leviers de croissance et d’enrichissement pour la société belge dans son ensemble. En adoptant une approche équilibrée et bien informée, basée sur des données concrètes et des expériences positives, la Belgique peut non seulement tirer parti des avantages de la migration, mais aussi renforcer sa position en tant que société ouverte, dynamique et inclusive. La migration, loin d’être une menace, est une opportunité précieuse pour revitaliser la Belgique et contribuer à son avenir prospère.
Patrick Balemba Batumike.
Références bibliographiques
- Européen Commission. (2023). Migration in the EU: Statistics and Facts.
- OECD. (2023). The Economic Impact of Migration.
- Eurostat. (2023). Migration and Integration Statistics.
- European Website on Integration. (2023). Indicators of Immigrant Integration.
- UNIA. (2023). Fight against Discrimination and for Migrant Rights
[1] Goddeeris, I. (2006). Belgian Emigration to America: An Overview. The Catholic University of Leuven.
[2] Vandeweyer, L. (2010). Belgium: A Country of Emigration before It Became a Country of Immigration. BELGEO, Revue belge de géographie
[3] Bousetta, H., & Maréchal, M. (2006). Immigration and Integration in Belgium: A State of the Art. IMISCOE Working Paper.
[4]Eurostat. (2023). Fertility Statistics.
[5] Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT)
[6]Etude réalisée par le Pew Research Center en 2020