Crise d’Haïti : entre manque d’intention et faible attention

Haïti est aujourd’hui encore en proie à une crise d’ampleur qui engouffre ce pays de jour en jour, dans un chaos généralisé et cela sous le regard passif et largement indifférent des acteurs et actrices de la communauté internationale. Prototype d’une crise oubliée, la situation en Haïti mérite que l’on s’y intéresse beaucoup plus. Cette réflexion se propose de remettre au goût du jour dans le cadre de cette revue, une situation fortement décriée par la société civile.

Crédit : Pixabay.com

Une crise multidimensionnelle aux conséquences dévastatrices

La fragilité actuelle d’Haïti est enracinée dans son histoire. Après avoir proclamé son indépendance en 1804, le pays se voit contraint de verser une dette colossale à la France, ce qui freine considérablement son développement économique naissant. Le vingtième siècle est marqué par les interventions américaines et les longues années de dictature sous les Duvalier, qui laissent des cicatrices politiques durables. Plus récemment, le tremblement de terre de 2010 vient aggraver cette fragilité : il provoque des pertes humaines massives et des destructions matérielles majeures, réduisant à néant plusieurs décennies d’efforts de développement.

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, le pays est rentré dans une nouvelle spirale d’instabilité chronique et multidimensionnelle, avec des institutions devenues inexistantes ou du moins largement dysfonctionnelles et des bandes armées qui contrôlent une grande partie du territoire, y compris des zones de la capitale Port-au-Prince. Selon les Nations Unies, plus de 3000 personnes ont été tuées au premier semestre 2025 et depuis 2022, l’on comptabilise plus de 16 000 personnes tuées[1]. Entre massacres de gangs, violences sexuelles, exécutions sommaires et plus de 150 gangs armés opérant dans et autour du pays, la situation d’Haïti est tout à fait comparable à un conflit interne de haute intensité.

La crise multidimensionnelle, politique, humanitaire et sécuritaire qui secoue ce pays depuis des années est devenue catastrophique, peut-on lire dans le rapport mondial 2025 de Human Rights Watch[2]. Non seulement les crimes et enlèvements perpétrés par des groupes criminels sont en nette augmentation, mais également, les violences sexuelles se sont encore plus largement généralisées tandis que les survivantes ne disposent que d’un accès extrêmement limité aux services de santé, par suite du démantèlement de l’écosystème de santé de la région métropolitaine de Port-au-Prince, en plus de l’absence quasi-totale de recours judiciaire.

Une crise innommée ou mal nommée

La situation que traverse Haïti est souvent qualifiée de crise oubliée, tantôt de crise négligée et s’apparente fort bien à un conflit interne non déclaré. Dans ses évaluations des crises oubliées, la Direction Générale Protection Civile et Opérations d’Aide Humanitaire Européenne (DG ECHO) retient la situation en Haïti comme une crise complexe, sans pour autant la qualifier de conflit interne. Des médias haïtiens et des analystes s’accordent d’ailleurs à dire que l’un des facteurs de négligence de la crise en Haïti réside dans le fait qu’elle ne soit pas clairement nommée[3], et nous pensons notamment à la qualification de « conflit armé non international » puisqu’elle réunit quasiment toutes les conditions pour être considérée comme telle. Une telle reconnaissance aurait potentiellement eu pour effet d’entraîner une plus large mobilisation internationale autour de cette crise, de la même manière que cela ouvrirait droit à des poursuites pénales au niveau international contre les auteurs et autrices des crimes graves qui y sont commis. En tout cas, il règne en Haïti un climat d’impunité qui neutralise tous les espoirs des populations et dresse un tableau de barbarie sans issue. Entre frustration et sentiment d’abandon, les victimes n’ont pour seul recours que les organisations humanitaires qui y interviennent.

Dans ce cas précis, la qualification de conflit armé non international paraît fondée aujourd’hui dans la mesure où, la jurisprudence assimile les mauvais traitements infligés à une population civile à des « attaques armées »[4], ce d’autant plus que ces attaques se comptent par dizaines de milliers. En effet le TPIY[5] considère que « dans le contexte des crimes contre l’humanité, l’attaque ne se limite pas au recours à la force armée et comprend également tous les mauvais traitements infligés à la population civile »[6]. Le caractère clandestin des gangs opérant en Haïti ne devrait pas les exclure de répondre de leurs actes devant l’instance internationale de répression des crimes internationaux les plus graves, puisque les actes criminels de ces gangs tombent sous le coup de ceux-ci. D’ailleurs le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk faisait déjà remarquer que même « les chiffres ne suffisent pas à rendre compte des atrocités absolues commises en Haïti (…) »[7]. En outre, le rapport d’évaluation rapide de l’impact de la crise sécuritaire, préparé par le gouvernement d’Haïti en octobre 2024, (avec l’appui de l’UE, la Banque Interaméricaine de développement, les Nations Unies et la Banque Mondiale) assimile ces gangs à des groupes armés[8]. Il est certes vrai que l’application des règles du Droit International Humanitaire à la crise haïtienne n’est pas aussi simple et dépend d’autres facteurs tout aussi d’importants. Néanmoins, nous militons pour le débat autour de cette question dans la lutte contre l’impunité des crimes graves qui y sont commis.

La faible mobilisation internationale : politique, humanitaire et médiatique

D’un point de vue politique, la situation que connait Haïti est typique d’un conflit oublié, où l’absence d’intérêts géopolitiques majeurs entraîne une forme de passivité internationale, malgré l’urgence humaine et sécuritaire qui y prévaut. Pourtant de l’avis de certain·es analystes, « l’histoire des relations de ce qu’on appelle la « communauté internationale » avec Haïti est une histoire d’aveuglement, de lâcheté et de cynisme, l’histoire d’une ingérence systématique, d’une domination politique et d’une faillite éthique »[9]. C’est dire que la communauté internationale a une immense part de responsabilité dans le chaos qui règne dans ce pays. Pour mieux comprendre la complexité des rapports géopolitiques qui prévalent autour d’Haïti, cette réflexion[10] du chercheur Frédéric Thomas peut davantage nous édifier. Si la campagne Stop Silence Haïti ! lancée en 2020 a eu pour effet de susciter davantage d’attentions sur un pays longtemps meurtri par des crises, la réactivité internationale à l’heure actuelle demeure sans éclat. Ce qui a pour conséquence, le sous-financement de cette crise d’un point de vue humanitaire, mais aussi et dans une certaine mesure, la disparition de cette crise des agendas médiatiques.

De toute évidence, dans les contextes de crises les agendas politiques, médiatiques et humanitaires sont intimement liés et produisent beaucoup plus d’impact lorsqu’ils sont mobilisés ensemble, ce qui n’est pas le cas pour la situation en Haïti.Il suffit de regarder autour de nous pour déplorer à quel point les valeurs d’humanité sont dévoyées et instrumentalisées dans les processus décisionnels aussi bien dans la sphère politique qu’au niveau des médias, pourtant essentiels pour un monde de justice et de paix. Face à cette situation, le Secrétaire Général des Nations Unies continue d’appeler à un soutien international plus accru et à alerter sur le risque d’un effondrement total de l’autorité étatique dans ce pays. Les organisations de la société civile sont devenues une voie d’information et de dénonciation non négligeable. Chacun·e d’entre nous peut contribuer à briser le silence qui entoure Haïti. Pour celles et ceux qui souhaitent s’engager, plusieurs actions concrètes sont possibles.

Nous pouvons signer des pétitions et campagnes de plaidoyer. La campagne internationale « Stop Silence Haïti ! » a été lancée en 2020 par plus de 82 organisations haïtiennes, belges, canadiennes, espagnoles, allemandes et béninoises pour mettre fin au silence et à la complicité internationale. 

Nous pouvons aussi nous informer pour mieux comprendre en visionnant des documentaires et films essentiels. « Haïti, la rançon de la liberté », documentaire diffusé sur France 3, examine la dette haïtienne imposée par la France et ses conséquences durables. « Haïti, entre deux feux », série documentaire de Médecins Sans Frontières en trois épisodes, raconte le quotidien des habitant·es de Port-au-Prince. Mais aussi, à travers des lectures comme : « Haïti noir », une anthologie de 18 nouvelles d’auteur·rices haïtien·nes contemporain·es explorant la société haïtienne.

Enfin, nous devons continuer à nous mobiliser dans le cadre des plaidoyers citoyens, afin que nos responsables politiques agissent à travers les instances politiques internationales en faveur d’un agenda et des actions claires pour les crises oubliées et négligées, ce d’autant plus que ces organisations internationales sont fondées sur la solidarité et existent précisément pour agir en faveur de l’humanité.

Merlin Fotabong Assoua.


[1] https://information.tv5monde.com/international/violences-en-haiti-plus-de-16000-morts-depuis-2022-selon-lonu-2792766

[2] https://www.hrw.org/fr/world-report/2025/country-chapters/haiti

[3] Voir le cycle de conférence en ligne d’MSF « Crises Oubliées, Pas Négligées- Haïti » https://www.youtube.com/watch?v=SSe9oiTdBIQ&t=1511s

[4] TPIY, aff. IT-96-23 ET 23/1-A, Kunarac, 12 juin 2002, § 86 ; aff. IT-97-24-T, Stakic, 31 juillet 2003, § 623.

[5] Entendu Tribunal Pénal International Pour l’ex-Yougoslavie

[6] Ibidem § 86 et § 623.

[7]https://news.un.org/fr/story/2025/01/1151896#:~:text=Au%20moins%205.601%20personnes%20ont,l’homme%20des%20Nations%20Unies

[8] https://thedocs.worldbank.org/en/doc/760948dabf29bbbe74d068aca7d8a6d8-0370012025/original/WB-RCIA-REP-FR-98.pdf

[9] Fréderic Thomas, « Haïti et la communauté Internationale : entre falsification et ingérence », 2023, https://www.cetri.be/Haiti-et-la-communaute-6237

[10] Ibidem.

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