Climat, pandémie, Ukraine : impacts et perspectives sur la résilience européenne

D’un point de vue théorique, la résilience européenne signifie la capacité de l’Union à « résister, s’adapter et se remettre rapidement en cas de [crise] sans compromettre son développement à long terme » . D’un point de vue pratique et actuel, elle signifie assurer l’indépendance énergétique de l’Union par le biais d’une transition écologique.

« Everybody knows the war is over, Everybody knows the good guys lost »,

Le conflit russo-ukrainien a mis à mal la résilience de l’Union. Il la pousse aujourd’hui à accélérer le mouvement de la transition écologique dont un des effets sera, à moyen terme, de se passer du gaz russe (lequel représentait 40% du gaz importé en Europeavant 2022). Si la Russie semblait mal embarquée au début du conflit, Poutine est parvenu à ébranler l’économie européenne et à remettre en question les objectifs que l’UE s’était fixée. En ce sens, il s’agit d’une petite victoire pour la fédération de Russie. Mais il convient de rappeler d’une part que le conflit n’est pas terminé et d’autre part que l’économie russe n’en sortira pas indemne. S’il peut sembler contestable d’attribuer une victoire au camp russe, il est cependant certain que les peuples sont quant à eux les grands perdants de ce conflit. Et ce, de quel côté qu’ils se trouvent[MD1] [sm2] .

La nécessité de plus en plus pressante de voir émerger une Europe forte et résiliente ne peut toutefois pas être imputée à elle seule à ce conflit. La crise sanitaire a, elle aussi, sévèrement impacté l’économie mondiale sans épargner notre continent : ce ralentissement a amené une baisse de la consommation des énergies fossiles, contraignant l’OPEP[1] à diminuer sa production de pétrole en vue de l’adapter à la demande. Ensuite, lorsque le moment semblait opportun, les États ont déconfiné et réouvert des secteurs qui, jusque-là, restaient fermés. Le schéma inverse s’est alors déroulé : la hausse globale de la demande a provoqué une hausse de la consommation d’énergies fossiles. Mais cette fois l’offre ne s’est pas adaptée à la demande. Cela s’explique à la fois par le temps nécessaire à cette adaptation[2] et par la volonté délibérée de l’OPEP : en maintenant un niveau de production relativement bas, l’organisation maintien des prix artificiellement hauts et augmente son chiffre d’affaires[3]. Encore une fois, après l’annonce du « nous sommes en guerre » macronien, il en est ressorti une défaite pour les populations européennes et leurs économies.

« Everybody knows the boat is leaking »,

Un troisième élément justifie l’importance de la résilience européenne, mais faut-il vraiment le rappeler ? La température globale sur la planète a augmenté de plus d’un degré par rapport à la fin du 19ème siècle. Cette augmentation a impacté la disponibilité des ressources en eau et en nourriture, la santé des hommes et des femmes partout dans le monde et a drastiquement réduit la biodiversité sur notre planète ainsi que l’espace où elle se développe.

À l’aune de ces constats dressés de toutes parts, l’UE devra, à plus long terme, répondre aux enjeux climatiques. D’une part, en intervenant sur le réchauffement en lui-même via une décarbonisation de l’économie[4], d’autre part en intervenant sur sa capacité à s’adapter aux changements que le climat apportera avec lui[5]. En effet, s’il est déjà trop tard pour éviter les dérèglements que l’activité humaine aura causés, l’enjeu de la résilience sera de résister aux chocs tout en assurant une indépendance vis-à-vis des puissances étrangères. Pour répondre à ce double défi, l’UE se doit alors d’être autosuffisante. Cependant, assurer une indépendance énergétique alors que les sources d’énergies conventionnelles[6] présentes sur le continent sont limitées, force les européens à se tourner vers le renouvelable[7]. Face à ces enjeux géopolitiques, économiques et climatiques, la transition écologique s’impose alors comme une nécessité et, surtout, comme une évidence.

« Everybody knows the captain lied »,

C’est ici que le Green Deal prend toute son importance : via ce pacte, la Commission européenne s’est fixée pour objectif d’augmenter significativement la part du renouvelable dans le mix énergétique, une augmentation annoncée de 40% d’ici 2030[8]. Cependant, cette transition écologique exige une dépense énergétique inhérente à l’extraction, au raffinage et au transport des matières premières nécessaires à la production des énergies renouvelables et des mobilités vertes. La construction d’un panneau photovoltaïque requiert par exemple des besoins en argent, tellure, cadmium, plomb et silicium. Pour l’éolien offshore, il s’agira des terres rares (néodyme, praséodyme, dysprosium), bore, niobium et molybdène. Quant aux mobilités vertes, selon qu’il s’agisse de véhicules fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène, les matières premières nécessaires à leur production oscilleront entre lithium, cobalt, graphite, nickel et manganèse, ou platine, palladium, iridium, rhodium, ruthénium et osmium. Autant de minerais qui sont extraits et raffinés à l’étranger…

« Everybody knows the deal is rotten, Old black Joe’s still pickin’ cotton »,

L’extraction de ces derniers se divise entre plusieurs pays dont  la Chine et l’Afrique. Pékin est le premier producteur mondial d’une dizaine de minerais, dont les terres rares. Quant à l’Afrique, elle fournissait en 2020 le marché mondial d’Iridium à hauteur de 92%, contre 71% pour le Platine et 68% pour le Cobalt. Mais là encore, Pékin y possède d’importants intérêts : en RD Congo, des sociétés privées chinoises détiennent à ce jour près de 75% des gisements, assurant la mainmise de Pékin sur des ressources indispensables au développement de la mobilité et des énergies « vertes » en Europe. Par ailleurs, l’extraction de ces minerais est extrêmement nocive pour les habitant·es de la région. Si c’est au péril de leur vie que les creuseurs s’aventurent dans ces galeries instables, l’extraction pollue aussi l’air, le sol et l’eau à proximité des habitations. Au sein des provinces minières, les polluants imprègnent la nourriture et les corps des habitants, causant des malformations : « bébés macrocéphales, mains déformées, membres atrophiés ».

« Everybody knows the fight was fixed, The poor stay poor, the rich get rich »,

À la lumière de ces éléments, on s’aperçoit que la résilience européenne, laquelle se base en partie sur l’indépendance énergétique de l’UE, est un leurre. La volonté de l’Union de se passer du gaz russe d’ici 2027[9] impliquera de facto la migration d’une part importante de notre dépendance énergétique de la Russie vers la Chine, de Charybde vers Scylla. Cela aura pour conséquence de renforcer l’hégémonie chinoise sur le marché des ressources critiques et d’affaiblir des populations déjà précarisées en spoliant et détruisant davantage leur environnement et leurs ressources. S’il semble difficile d’éviter cela, il existe néanmoins plusieurs moyens d’amoindrir l’impact de notre dépendance à la Chine.

« Everybody knows it’s now or never »[10]

D’abord, la sécurisation des apports, c’est-à-dire la capacité de l’Union à assurer l’entrée des matières critiques sur son territoire via d’autres chaines d’approvisionnement que la Chine, bien qu’il s’agisse d’une solution à court terme, elle permettrait à l’UE de pallier ses éventuelles difficultés d’importation et de limiter la casse sur les marchés concernés. En ce sens, les États-Unis, l’Amérique du Sud, l’Indonésie et l’Australie constituent un ensemble d’alternatives. Deuxièmement, la sobriété énergétique, c’est-à-dire astreindre sa consommation à un raisonnement préalable soulevant les points suivants : nécessité, durabilité et modalité. Cela consiste à s’interroger sur le besoin auquel une consommation prétend répondre, sur son impact environnemental, sa réparation et son recyclage, et sur le cout social de son mode de production.

Ces deux éléments de réponse constituent des comportements concrets qui peuvent être mis en place au quotidien : la sécurité des approvisionnements ne concerne pas que les terres rares. En tant que citoyen·ne, le fait de privilégier d’autres chaines de production que la grande distribution permet de créer et de faire grandir des réseaux de production plus durables et plus résilients face aux variations de la conjoncture et des marchés. Il en est de même pour la sobriété énergétique. Néanmoins, sans changement radical initié par la classe politique, il est possible qu’à long terme ces deux principes servent davantage à guérir un défaut de résilience qu’à le prévenir…

Samuel Meurisse.


[1] Organisation des pays producteurs de pétrole.

[2] retrouver le niveau de production pré-covid ne peut se faire en un jour.

[3] C.f., n.b n°2.

[4] L’objectif que s’est fixée l’UE est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

[5] Amélioration de l’efficacité énergétique de 32,5% d’ici 2030, possibilité pour les citoyens de créer leur propre énergie, création d’un système alimentaire durable, etc.

[6] Pétrole, charbon, gaz naturel, nucléaire.

[7] Voir plus loin.

[8] C.f., n.b n°3.

[9] C.f., n.b. n°2.

[10] « Everybody knows », chanson de Leonard Cohen.


 

 

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