« Ralentir ou Périr : l’économie de la décroissance » est le titre du livre rédigé par Timothée Parrique qui établit de nouvelles bases pour penser la société différemment. Allons une étape plus loin dans l’exercice.
Le 13 décembre 2022, une conférence intitulée « Ralentir ou Périr : l’économie de la décroissance » a été présentée d’une main de maître au sujet du livre du même titre par son auteur, Timothée Parrique, économiste français et chercheur à l’université de Lund, dans les locaux d’HEC-Liège.
Son ouvrage d’économie est accessible à tous et toutes et critique la poursuite d’idée d’une croissance infinie comme délétère à notre cohésion sociale et accélérant l’effondrement écologique. Il nous propose les bases d’un système de « décroissance », ou de « post-croissance », en commençant par la critique de l’indicateur de développement traditionnel, le PIB[i].
En effet, notre modèle économique est construit autour d’une hypothèse souvent admise comme un axiome : la croissance économique entraine une augmentation de la qualité de vie. Cette hypothèse justifie l’apparition de nombreux phénomènes économiques et productivistes contemporains : surexploitation des ressources, obsolescence programmée, mondialisation, extractivisme, fast-fashion… Tous ces concepts ont en commun qu’ils contribuent à la croissance économique ; et donc théoriquement au bien-être. Nous nous rendons cependant bien compte que ce parallélisme entre croissance et bien être n’est qu’un mythe qui semble s’être imposé comme une réalité tangible et indiscutable.
Le domaine de la recherche s’intéresse pourtant de plus en plus aux indicateurs alternatifs du développement[ii]. Le but est de s’intéresser non pas uniquement à l’accroissement de la production industrielle sur un territoire, mais d’essayer d’intégrer les notions de bien-être, de santé, d’environnement et de développement social, et ce à une échelle plus globale. Beaucoup de scientifiques se penchent sur la question et ont développés de nombreuses théories ou systèmes alternatifs intégrant ces différents aspects, comme par exemple Isabelle Cassiers et son ouvrage « Vers une société post-croissance : intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux », ou alors Kate Raworth avec « La Théorie du Donut, l’économie de demain en 7 principes », ou bien encore Dominique Méda avec « La Mystique de la croissance : comment s’en libérer ».
Imaginons maintenant un monde où nous aurions appliqués les principes de décroissance développés par Timothée Parrique : se recentrer sur notre bien-être, orienter la consommation de ressources afin de revenir dans les limites de leur renouvellement, redéfinir des indicateurs pour un développement durable et non plus simplement productiviste. Imaginons un monde où nous aurions pris le temps de redéfinir nos propres besoins personnels au lieu de nous les faire dicter par le marketing. Intéressons-nous aux conséquences plus globale qu’un tel mode de vie aurait sur notre société.
A quoi ressemblerait une société sobre ?
Dans une imaginaire société « sobre », en « post-croissance » ou en « décroissance » (choisissez votre appellation préférée, en notant que certaines appellations peuvent avoir une connotation plus négative que d’autres), issu de la fantaisie de l’auteur de ce texte et n’étant qu’une des nombreuses possibilités, notre mode de vie quotidien ressemblerait très sensiblement à celui que nous avons dans le monde réel. Après avoir été à l’école pour suivre notre enseignement de base, nous nous spécialiserions ensuite dans un corps de métier que nous voulons rejoindre, nous travaillerions ensuite en essayant de maintenir un équilibre avec notre vie familiale et privée, et nous serions ensuite à la retraite où nous coulerions de jours heureux. Nous aurions accès des systèmes de santé et d’éducation de qualités, et nous pourrions nous épanouir dans la poursuite de nos hobbys dans notre temps libre.
De fait, les différences ne se manifesteraient pas dans les grandes lignes de notre vie, mais dans les petits détails du quotidien. Nous n’aurions par exemple peut-être plus de machine à laver individuelle, mais partagée avec notre voisinage, dans une buanderie commune. Nous nous rendrions sur le lieu de notre emploi principalement en transport en commun, et nous aurions un régime de travail principalement à distance, pour encourager la limitation des déplacements. Nous n’aurions plus besoin de la voiture pour nous rendre dans des zonings commerciaux afin de faire nos courses du quotidien, mais un réseau de magasins de proximités nous permettrait de ne pas devoir nous déplacer de plusieurs kilomètres pour avoir nos biens de première nécessité. Les appareils électroniques que nous utilisons ne seraient plus conçus pour être jetés et vite remplacés, mais pourraient être conservés pendant des décennies, facilement améliorable et parfois transmis à la génération suivante ; en cas de panne, nous ne jetterions pas notre appareil aux ordures, mais nous aurions accès à un circuit de réparation nous permettant de le remettre en ordre à moindre coût, ainsi qu’à des bases de données de documentations nous permettant d’effectuer les réparations nous-même lorsque cela est possible.
Les nouvelles habitations ne seraient plus bâties avec une logique de moindre coût, mais à base de matériaux disposant d’une longévité beaucoup plus grande[iii]. Nous pourrions encore nous rendre où nous le souhaiterions en vacances, que ce soit en voiture, en train, en bus ou en avion, mais notre fréquence d’utilisation de transport polluant serait réduite au maximum, au travers d’un changement volontaire dans nos habitudes de voyage ou par un système comptabilisant nos déplacements ; ainsi nous pourrions prendre consciemment l’avion jusqu’à notre destination de rêve au bout du monde, mais nous ne pourrions pas le faire plusieurs fois par an.
Quels changements au quotidien ?
En réalité, notre vie ne changerait pas énormément, et notre confort de vie certainement pas. Les biens que nous consommerions seraient les mêmes, ainsi que les transports, mais ils seraient probablement plus chers. Les conceptions des logements, des appareils électroniques, de nos véhicules, de nos vêtements et de bien d’autres bien seraient améliorés pour ne pas maximiser le profit de l’entreprise productrice, mais l’utilité qu’ils fournissent aux consommateurs et consommatrices. Ainsi, un smartphone n’aurait pas une durée de vie de deux-trois ans avec un prix réduit, mais aurait une durée de vie d’une dizaine d’année, avec la possibilité de le réparer, et le prix d’achat serait beaucoup plus élevé pour encourager l’entretiens plutôt que le remplacement. Cela ne se ferait pas pour autant au détriment de l’emploi en industrie productive, car des places seraient créé dans l’industrie de la maintenance. Les efforts des industriels ne seraient donc plus dirigés vers la diminution des coûts ni vers l’augmentation de la quantité de biens produits, mais plutôt vers une amélioration des technologies, de la durabilité et de l’efficience des produits.
Tous les domaines ne seraient pas impactés. Réduire notre gâchis d’énergie et de matières premières dans nos biens de consommation ne nous empêcherait pas de continuer d’en utiliser pour la recherche scientifique, pour les services de santé ou pour la défense. Il ne s’agirait pas de prendre ces décisions à l’extrême et de revenir au moyen-âge, mais plutôt d’utiliser ce que nous avons de manière responsable. Au lieu de jeter nos ressources à tout va pour le profit d’une minorité, elles seraient rationnalisées et utilisées là où elles auraient le plus d’impact pour le bien commun.
Cette nouvelle approche sociétale aurait pour effet direct de pouvoir maîtriser les impacts environnementaux, non seulement au niveau de la pollution générée par les différents secteurs industriels, mais également au niveau des gaz à effet de serre émis. Avec une stabilisation, ou même une diminution de l’énergie que nous consommons, nous aurions une plus grande facilité d’augmenter la part de renouvelable dans le mix énergétique. Les grands défis d’une société en transition[iv] et avec une économie plus rationalisée seraient le maintien de notre processus démocratique (en ne tombant pas dans le piège d’accorder les pouvoirs décisionnaires aux différents experts et technocrates) et de la bonne répartition des impacts et des changements d’habitudes entre les plus démunis et les plus fortunés.
Conclusion
Evidemment, cette vue de l’esprit est un exercice théorique, et ne correspond donc à aucune réalité présente. Il est cependant intéressant de s’y adonner, car cela nous permet de mettre nos choix de vie et de consommation en perspective avec ce qui contribue à notre bonheur. La croissance infinie, qu’elle soit verte, durable, ou sociale, correspond à un mythe car situé dans un monde aux ressources finies. La tâche peut sembler immense et peut facilement être rejetée sur les autres, sur le gouvernement ou sur les entreprises, mais nos efforts critiques nous amèneraient à des actions concrètes et collectives, qui influenceraient à leurs tours les orientations politiques et économiques de façon radicale, et nous serions nous-même les grands gagnants de ce changement.
Arthur Longrée.
[i] PIB : Produit Intérieur Brut, indicateur économique utilisé pour mesurer la création de richesse sur une période fixe.
[ii] Pour plus de détails sur ce sujet, « Et si l’economie nous parlait du bonheur ? », de Laure Malchair, disponible sur le site internet de Justice & Paix : https://www.justicepaix.be/wp-content/uploads/2021/12/2013-CJP_etude_economie-du-bonheur_texte.pdf
[iii] Les constructions romaines tiennent encore debout après plusieurs millénaires, et nous devons démolir les nôtres après une cinquantaine d’années. Cela devrait être une source d’émulation pour nos professionnels de la construction
[iv] Pour plus de renseignement sur ce thème, « Quelle transition écologique pour demain ? Energie, Climat, Métaux » en trois partie sur le site internet de Justice & Paix : https://www.justicepaix.be/quelle-transition-ecologique-pour-demain-energie-climat-metaux-partie-1/