Règlement de l’UE sur l’approvisionnement responsable en minerais
Les négociations en trilogue de l’UE sur le projet de réglementation ont démarré le 1er février 2016. Au cours des prochains mois, la Commission européenne, le Parlement européen et la Présidence du Conseil européen vont tenter de convenir d’un texte de compromis.
Les ravages du commerce de minerais liés au conflit et aux atteintes aux droits humains ont été largement documentés. [1] Ce problème reste d’actualité. Plusieurs rapports et événements ont récemment mis en évidence l’urgence de relever ce défi, qui préjudicie à la réputation des entreprises et des investisseurs qui n’assument pas leurs devoirs de diligence raisonnable.
- Le 20 août 2015, Kardiam, une entreprise belge, a été placée sur la liste des entreprises visées par les sanctions de l’ONU « pour avoir soutenu les groupes armés en République centrafricaine […] par l’exploitation illégale ou le trafic de ressources naturelles (diamants, or) » Kardiam a nié les allégations de l’ONU lors de ses échanges avec Global Witness.
- La Déclaration de Berne a récemment publié un rapport qui signale que la plus importante fonderie d’or du monde, basée en Suisse,« achète de l’or produit par des enfants ». La Déclaration de Berne précise que cette entreprise a rejeté ses demandes de rendez-vous et n’a pas répondu aux questions qui lui avaient été adressées par courriel.
- • Amnesty International et Afrewatch ont récemment publié un rapportqui révèle que « de grandes marques du secteur de l’électronique, comme Apple, Samsung et Sony, ne procèdent pas aux contrôles élémentaires afin de vérifier que leurs produits ne contiennent pas de cobalt extrait dans les mines par des enfants ». L’annexe de ce rapport résume les réponses que les entreprises ont données aux conclusions d’Amnesty [2].
Le mandat du Conseil n’apporte pas une réponse européenne efficace à ce problème. Notons tout d’abord que le Conseil propose un dispositif volontaire et qui exclut la grande majorité des entreprises qui commercialisent l’étain, le tantale, le tungstène et l’or (« 3TG ») sur le marché européen — que ce soit à l’état brut ou en tant que composants d’appareils tels que des ordinateurs portables ou des moteurs. En outre, ce dispositif nuit considérablement au principal cadre international précédemment avalisé par l’UE, à savoir le Guide OCDE sur le devoir de diligence. En agissant de la sorte, le Conseil édulcore le sens même d’être une entreprise « responsable ».
Le Guide OCDE sur le devoir de diligence a été négocié et approuvé par l’industrie, les gouvernements et la société civile. Il forme déjà la base de législations dans d’autres pays et a été avalisé par 34 pays membres de l’OCDE, 19 autres pays et le Conseil de sécurité de l’ONU. [3]. C’est également sur ce Guide que se basent de nouvelles normes industrielles chinoises sur la diligence raisonnable appliquée aux chaînes d’approvisionnement en minerais. [4]. Par ailleurs, le Guide OCDE met spécifiquement en œuvre au sein des chaînes d’approvisionnement en minerais les Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme, lesquels décrivent en quoi consiste la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits humains [5].
Les entreprises de l’UE mettent déjà en œuvre le cadre relatif au devoir de diligence de l’OCDE, en grande partie du fait de la section 1502 de la loi américaine Dodd-Frank (DFA 1502), qui exige des entreprises soumettant des états financiers en vertu du droit américain qu’elles se livrent à un exercice de diligence raisonnable conformément à la norme de l’OCDE. [6].
- D’après les estimations de la Commission, 40 entreprises à double cotation sont directement soumises aux exigences du DFA 1502.
- En outre, jusqu’à 17 % des entreprises de l’UE qui travaillent avec des « 3TG » sont indirectement concernées par les exigences de la loi américaine puisqu’elles fournissent des clients américains [7].
- Sous l’impulsion de la DFA 1502, des initiatives conjointes de l’industrie aident déjà les entreprises — de manière très concrète — à se conformer aux normes de l’OCDE.
Il est donc très inquiétant de constater que le Conseil propose de rediscuter et d’affaiblir cette norme établie, d’une manière qui n’aidera pas les entreprises de l’UE qui la mettent déjà en œuvre et qui, d’une certaine façon, limitera l’efficacité de la réponse de l’UE face au commerce des minerais de conflit.
Le contraste entre la position du Conseil et le discours que tient l’UE sur les chaînes d’approvisionnement responsables est des plus saisissants. L’automne dernier, l’UE s’est montrée favorable aux engagements du G7 visant à encourager les chaînes d’approvisionnement mondiales durables Commission européenne, 12 octobre 2015, L’UE annonce une aide en faveur de l’amélioration de la sécurité sur le lieu de travail et des pratiques de travail dans les pays producteurs. En vertu de sa nouvelle stratégie commerciale, la Commission fait valoir qu’« une gestion responsable des chaînes d’approvisionnement mondiales est essentielle pour aligner la politique commerciale sur les valeurs européennes ». Dans le contexte des minerais de conflit, elle s’engage à « s’appuyer sur les travaux de l’OCDE » [8].
Le Règlement de l’UE offre aux États membres une excellente opportunité de tenir ces engagements. Les gouvernements ont pris des mesures pour rendre plus responsables les chaînes d’approvisionnement dans d’autres secteurs—denrées alimentaires, bois d’œuvre, finance et services financiers. Ainsi, tout récemment, le Royaume-Uni a fait preuve de leadership sur la question de l’esclavage moderne. Cependant, les gouvernements tardent à promouvoir un tel niveau de transparence et de responsabilité le long des chaînes d’approvisionnement en minerais, où ces deux aspects font pourtant cruellement défaut. Sur l’ensemble des affaires de corruption étudiées par l’OCDE en 2014, les industries extractives étaient le premier secteur représenté (19 %). [9].
- Faire preuve de leadership sur cette question en appuyant des exigences de diligence raisonnable obligatoires pour les entreprises couvertes par la législation
- Soutenir un Règlement conforme au Guide OCDE sur le devoir de diligence en :
- S’assurant que toutes les obligations de diligence raisonnable soient cohérentes à la norme de l’OCDE
- Incluant les entreprises situées en aval des importateurs de métaux, notamment les entreprises qui commercialisent sur le marché européen des produits contenant des minerais couverts par la législation
- Ayant recours à un langage qui reflète explicitement la progressivité et la flexibilité de la diligence raisonnable.
Notes
[1] Voir par exemple plusieurs documents d’information de membres de notre coalition :https://www.globalwitness. org/documents/18087/NGO_Coali- tion_Briefing_-_EU_Regulation_on_ Responsible_Mineral_Sourcing.pdf et https://www.globalwitness.org/docu- ments/18060/Breaking_the_Links_-_ Joint_NGO_Position_Paper_FR.pdf. Voir également http://business-hu- manrights.org/en/background-con- flict-minerals-eu-responsible-miner-al-sourcing-regulation.
[2] Les réponses des entreprises se trouvent dans l’annexe de la version en langue anglaise du rapport, à partir de la page 75.
[3] Le Guide OCDE a été avalisé par 34 pays membres de l’OCDE, ainsi que par la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie, le Brésil, l’Argentine, le Pérou, le Maroc, les 12 États mem- bres de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) et le Conseil de sécurité de l’ONU. Neuf pays non-membres, à savoir l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, la Lettonie, la Lituanie,le Maroc, le Pérou et la Roumanie, qui adhèrent tous à la Déclaration sur l’investissement international et les entreprises multinationales, ont adhéré à la Recommandation du Conseil de l’OCDE
[4] Global Witness, 2 décembre 2015, Global Witness salue l’adoption par la Chine de nouvelles directives progressistes relatives aux chaînes d’approvisionnement en minerais
[5] Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, 2011, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, Doc. ONU HR/ PUB/11/04.
[6] Par exemple, Vodafone a récemment admis à Amnesty International n’ex- ercer un devoir de diligence conforme à l’OCDE que pour l’étain, le tantale, le tungstène et l’or car cela est obliga- toire en vertu du DFA 1502. Vodafone a déclaré : « Il est important de noter que le cobalt ne fait pas partie des minerais inclus dans le rapport sur les Minerais du conflit [exigé par la loi] et qu’il n’est donc [pas] assujetti au même niveau de diligence raisonna- blen que les autres minerais énumérés ci-dessus [tantale, étain, tungstène ou or]. » Voir Amnesty International, 19 janvier 2016, Voilà pourquoi on meurt : Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt, Annexe, p. 81
[7] Commission européenne, 5 mars 2014, Analyse d’impact, p. 13, p. 19, p. 23 et p. 36.
[8] Commission européenne, octobre 2015, Le commerce pour tous : Vers une politique de commerce et d’investissement plus responsable, p. 7, p.24 et p. 25
[9] OCDE, 2 décembre 2014, Rapport de l’OCDE sur la corruption interna tionale
[10] Directive anti-blanchiment de l’UE, Article 8, paragraphes 1 et 3.
[11] Ministère britannique de la Justice, mars 2011, Guidance about procedures which relevant commercial organisations can put into place to prevent persons associated with them from bribing (section 9 of the Bribery Act 2010), Principes 1 et 6, p. 21 et
p.31
