En RD Congo le lien entre l’exploitation des ressources et la présence de conflit se vérifie particulièrement. La présence de ressources alimente un conflit silencieux qui déstabilise la région des Grands Lacs depuis de nombreuses années. Si l’accès aux ressources naturelles congolaises n’apparaît pas comme la principale raison du déclenchement du conflit en 1996, il est aujourd’hui clairement l’un des éléments centraux sur lequel se base, depuis près de 20 ans, la stratégie des acteurs en présence.
À l’Est de la RD Congo, l’exploitation a un impact à la fois sur la durée et l’intensité du conflit. Impact sur la durée parce qu’en effet, si le commerce illégal des minerais rapporte si gros, c’est parce qu’il se nourrit du cocktail "instabilité-insécurité-impunité". L’absence de contrôle permet à certains groupes armés de se financer, mais permet surtout l’enrichissement personnel de quelques officiers et autres individus haut placés dans la hiérarchie des groupes armés. Ils sont entre 70 et 120 à évoluer à l’Est de la RD Congo.
Les pays voisins du géant congolais, pour la plupart impliqués dans les trafics, bénéficient aussi largement de cette situation. Cette recherche continue d’enrichissement conduit inévitablement à une stratégie d’alimentation des conflits. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) estime que l’exploitation illégale des ressources en RD Congo (or, bois, ivoire et minerais) rapporterait jusqu’à 1,3 milliard de dollars par an. Le trafic d’or à lui seul générerait annuellement près de 120 millions de dollars. Ces revenus ne reviennent pas intégralement aux groupes armés, mais bénéficient également à des groupes criminels internationaux – notamment abrités par les pays voisins [3] .
Concrètement, comment les choses se passent-elles ?
L’enrichissement des groupes armés est principalement tiré de la commercialisation des minerais, plutôt que de l’exploitation artisanale en tant que telle. Néanmoins, il arrive qu’un groupe armé prenne directement le contrôle d’une mine artisanale pour l’exploiter pendant quelques jours, soit en envoyant ses propres soldats extraire le minerai dans les puits, soit en obligeant des civils à le faire pour lui. Cette pratique reste toutefois isolée, et principalement liée aux agissements de certaines unités particulièrement peu scrupuleuses des FARDC [4] "Cartographie des zones minières artisanales et des chaînes d’approvisionnement en minerais dans l’est de la RDC. Impact des interférences des groupes armés et des initiatives d’approvisionnement responsables", Mai 2019]], car les hommes en armes se limitent généralement à contrôler les abords des sites et à racketter les creuseurs et les négociants de minerais le long des routes commerciales qu’ils contrôlent (prélèvement de taxes en minerais où en espèces). La présence dans les sites miniers ne représente plus qu’une source de financement parmi d’autres. Comme le souligne IPIS , le commerce illicite se poursuit mais les stratégies de taxation ont été révisées. Aujourd’hui les revenus sont surtout récoltés par la tenue de barrages routiers et de la taxation d’autres ressources (notamment le bois) [5]. Il est fréquent que des entreprises paient des taxes à des groupes rebelles pour pouvoir utiliser les routes et acheminer sans trouble leurs marchandises. En échange du paiement de ces "taxes", les rebelles ou militaires assurent la sécurité des convois de l’entreprise. Qu’en est-il de l’intensité des combats ? Elle est relativement faible en RDC. La coopération commerciale entre les différents groupes pour le trafic de minerais prime souvent sur la logique de l’affrontement militaire. En effet, les périodes d’affrontement direct sont relativement brèves – même à l’Est du pays - et suivies de périodes plus longues d’accalmie, permettant ainsi à la coopération commerciale de se réorganiser. Par ailleurs, la raison première de la plupart des attaques menées par un groupe armé contre un autre est de s’approprier l’accès aux mines et/ ou aux routes commerciales des minerais, plutôt qu’une réelle divergence politique ou idéologique entre eux.
Les premières victimes de ces conflits sont les populations locales qui subissent les stratégies de violences et de terreur des hommes en arme. Ces derniers pratiquent les pillages, meurtres, enlèvements et aussi les viols pour asseoir leur domination. Les personnes déplacées se comptent par dizaines de milliers.
La stratégie du chaos
Les conflits et les violences (dont les violences sexuelles) entretiennent un chaos généralisé dans la région. Ce désordre permanent permet à différents belligérants de pouvoir continuer à s’enrichir grâce à l’exploitation des ressources. En effet, si l’ordre régnait, il serait plus difficile de pouvoir extraire et exporter illégalement les minerais, de ne pas payer de taxes et cela engendrerait une réduction des bénéfices. Ce chaos a pour conséquence directe de ne pas permettre à la population et à l’État – en tant qu’institution- de bénéficier des retombées des richesses minières. De nombreux acteurs en présence (groupes rebelles, FARDC, responsables politiques, hommes/ femmes d’affaires et multinationales ou encore pays voisins) ont donc un intérêt direct majeur à faire perdurer cette crise.
Il est important toutefois de souligner que bien souvent les ressources ne sont pas la seule explication que l’on peut donner aux conflits. Les conflits sont multifactoriels. Cela s’observe d’ailleurs au Sud-Kivu où le conflit, d’une rare complexité, mêle à la fois des enjeux géostratégiques, économiques, mais également politiques et ethniques. Par ailleurs le conflit a des composantes strictement congolaises, une dimension régionale importante (avec notamment le Rwanda et l’Ouganda), mais aussi internationale (en raison des nombreux acteurs étrangers en présence : grandes entreprises et États). La complexité de la situation rend difficile la résolution des conflits.