C’est en partie le constat que partagea John Ruggie, le rapporteur spécial des Nations Unies « sur la question des droits humains et des entreprises », qui proposa en 2011 d’établir un cadre directeur et de forcer les entreprises à respecter, elles aussi, les droits Humains. À travers 31 principes, l’ONU souhaita ainsi diffuser un ensemble de bonnes pratiques et baliser les actions des États nationaux : il s’agissait avant tout de rendre les sociétés transnationales responsables aux yeux du droit international, mais également de rappeler le devoir des États à protéger leur population des violations de ces droits par des tierces parties (dont ces mêmes entreprises). Enfin, ce texte visait à créer des structures de réparation efficaces en cas d’infractions constatées afin de rendre réellement justice aux victimes. En effet, après quelques années d’exploration, John Ruggie a pu témoigner de l’incapacité de certaines juridictions nationales à obtenir des réparations de la part d’entreprises transnationales ; ces dernières se structurant autour de multiples entités juridiques complexes et opaques, esquivant ou dilapidant toute responsabilité.
Afin de donner suite à ce rapport, les États étaient censés, par le biais de « Plan d’Action Nationaux », intégrer ces recommandations dans leur droit national. Force est de constater qu’après plus de six années, seuls quelques États (dont l’Allemagne, l’Italie, Le Royaume-Uni…) ont réussi à concrétiser ces engagements politiques. En Belgique, malgré les déclarations gouvernementales de 2014, aucune proposition législative n’a pu être validée à ce jour. Des consultations ont pourtant été réalisées auprès de syndicats, de mouvements patronaux et d’ONG. L’organe responsable de l’écriture du Plan d’Action National a bien finalisé son texte en juillet 2016, mais celui-ci est resté sans suite après avoir été soumis aux gouvernements régionaux et fédéral. Le processus national belge semble désormais rester au point mort pour une loi qui était prévue pour décembre 2016 !
Qu’en penser dès lors ? Si ce cadre proposé par l’ONU n’a pas de valeur obligatoire pour les entreprises, celui-ci a au moins le mérite de les pousser à réaliser l’exercice de « diligence raisonnable » (voir encadré) et de les encourager à publier des rapports sur leurs pratiques en matière de respect des droits humains.
La Diligence raisonnable (
Due Diligence, en anglais) classique est un examen auquel se soumet tout investisseur qui souhaite acquérir une nouvelle entreprise. L’objectif est d’examiner les risques potentiels liés à la situation de ce bien (fiscale, stratégique, comptable…). Cela peut s’apparenter à un devoir de précaution, préalable à l’achat.
Ce principe peut être élargi en matière de droits humains, lorsque les entreprises font cet exercice de transparence sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Par le biais d’une évaluation minutieuse au sein de l’entreprise, de ses filiales et de ses sous-traitants, l’objectif est d’identifier les potentielles infractions aux droits humains afin d’y remédier dès que possible [3] .
Face à l’inertie de trop nombreux États, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution en 2014 pour créer un groupe de travail inter-gouvernemental. Il y était question de formaliser, une bonne fois pour toutes, un instrument législatif obligatoire pour réguler les activités des entreprises transnationales. Un tel traité, signé et ratifié par l’ensemble des États membres des Nations Unies, permettrait ainsi de demander légalement aux entreprises de fournir une « cartographie des risques » de leurs activités et d’établir des plans de vigilance pour prévenir ces mêmes risques [4]. Ce traité serait également une opportunité pour créer une juridiction internationale mandatée à juger des crimes commis par des personnes morales transnationales privées (dont les multinationales). Enfin, cette convention permettrait de hiérarchiser définitivement deux concepts du droit International qui entrent trop souvent en conflit : les droits humains et la protection des investissements.