Afrique centrale : de la peur à la bonne gouvernance

C’est une crise des démocraties que vivent le Burundi et le Congo. Et, si la Communauté internationale ne maintient pas une attention privilégiée sur cette région du monde, cette dernière risque de s’embraser. Justice et Paix exige une parole politique forte de la part de nos représentants.

analyse_afrique_centrale_de_la_peur_a_la_bonne_gouvernance_710x280.jpg L’Afrique centrale doit rester une priorité pour la Belgique. Le non-respect des Constitutions locales et les violations des Droits humains fondamentaux doivent être recensés et divulgués de manière à permettre des sanctions individuelles et collectives des responsables. Si les appels au secours de la population locale ne sont pas entendus, la région risque de s’embraser. Et nous savons à quel point la Belgique est liée à cette région du monde, non seulement par nos liens historiques mais aussi de par le nombre de membres de la diaspora qui sont nos concitoyens. Au-delà d’un acte de solidarité, une action politique de la Belgique est une responsabilité. Burundi : la peur généralisée Au Burundi, depuis la décision de Monsieur Nkurunziza de rester au pouvoir et ce malgré le fait que la Constitution de son pays ne le lui permettait pas, la crise politique a dégénéré avec entres autres la tentative échouée de coup d’état au mois de mai 2015, le « musellement » de la presse et les graves violations des Droits humains dont nous avons beaucoup entendu parler en décembre dernier [1]Voir à ce sujet l’interview de Justice et Paix sur la RTBF le 14 décembre dernier : https://www.justicepaix.be/Burundi-crainte-d-une-guerre-civile . Alors que certains observateurs parlent d’accalmie, nos partenaires burundais résument quant à eux la situation en disant qu’il y a une peur généralisée : les rafles (surtout dans les quartiers dit contestataires) continuent. Il y a des arrestations arbitraires, disparitions et découvertes de fosses communes [2]La société civile locale, a recensé les cas de près de 813 personnes mortes entre avril 2015 et mai 2016. . Sous le couvert d’une recherche de sécurité (les autorités disent « vouloir maîtriser les mouvements de la population » ce qui indique une crainte de retour des groupes armés), on « contrôle » non seulement les adultes et jeunes adultes mais aussi les enfants, ainsi empêchés de se rendre à l’école [3]Voir le communiqué d’Unicef de novembre 2015 au sujet des enfants au Burundi : http://www.unicef.org/french/infobycountry/media_86267.html . Deuxième source de stress important : la situation économique du pays. On ne trouve plus de devises et le pays n’est plus fourni en produits de première nécessité, par exemple, les médicaments se font rares. Un récent rapport [4]FMI en 2015 mentionne que le pays a un taux de croissance de moins 7 % ! Les relations avec les pays voisins sont tendues. Entre l’accueil des réfugiés qui fuient le pays et l’entraînement de combattants confirmé par un rapport des Nations Unies , le Rwanda est pointé du doigt par Pierre Nkurunziza qui trouve dans cette situation un argument supplémentaire pour parler de conflit ethnique. Or, nos partenaires sont très clairs à ce sujet : il s’agit d’un conflit politique qu’il faut donc régler par la politique et, si nécessaire, par la force :
  • en protégeant, première priorité, la population locale qui se trouve isolée. Rappelons que, en janvier dernier, l’Union africaine a renoncé à y envoyer une force de maintien de la paix et a préféré une position d’observateur ;
  • en facilitant la mise en route d’un réel dialogue, facilité par une Union africaine légitime et crédible. Cela implique, entre autres, de rendre ce dialogue complètement inclusif, c’est-à-dire en présence des représentants de l’opposition politique et/ou armée compte tenu du contexte et des circonstances à l’origine de la crise actuelle, ce à quoi l’actuel Président se refuse jusqu’à aujourd’hui. Cela implique également de se pencher sur la question des prisonniers politiques ;
  • en exigeant de l’état burundais le respect des droits humains et en permettant ainsi le retour des réfugiés, dont les responsables des ONG et associations locales ayant fui pour assurer leur sécurité. Car une des questions lancinantes qui se posent aujourd’hui est : qui reste-t-il au pays ? Et que peut-on encore dire ? À ce sujet, relevons le courage des défenseurs des droits humains restés au pays ainsi que du collectif de journalistes « SOS médias » qui, dans l’ombre, avec du matériel très basique et au dépens de leur vie, continuent à assurer une information accessible via Internet mais donc principalement accessible aux élites et observateurs internationaux. Relevons également que l’Église catholique au Burundi, par mesure de prudence, se prononce moins publiquement depuis le mois de mars (l’équipe de Justice et Paix à Bujumbura a fait l’objet de menaces de mort et une partie de ses membres a dû fuir le pays) mais essaie de maintenir un dialogue avec les autorités. Il est également important d’insister sur lla nécessité pour la Belgique et l’Europe de bénéficier des témoignages de nos partenaires locaux. Malheureusement, faire venir des membres de la société civile burundaise est devenu un vrai parcours du combattant tellement la crainte d’afflux de réfugiés a compliqué la procédure d’obtention de visa.
  • Une piste diplomatique pour nos pays européens serait de travailler à un dialogue avec l’Angola considéré actuellement comme un pays allié du Burundi et acteur incontournable de par sa force militaire et économique. Bien que lui-même peu regardant sur les enjeux démocratiques, le risque de voir la région s’embraser pourrait l’encourager à avoir un rôle positif auprès du Burundi et du Congo.
Le Congo : face au glissement, la bonne gouvernance La situation politique au Congo est largement dominée par la question électorale : les élections du 26 mars dernier dans 21 nouvelles provinces du pays ont laissé un goût amer aux observateurs locaux, l’Église catholique congolaise ayant constaté de nombreuses fraudes, intimidations et achats de votes. Par ailleurs, la stratégie du silence et du « glissement » choisie par Monsieur Kabila énerve de plus en plus. La dernière stratégie juridique en date, l’arrêt de la cour Constitutionnelle [5]Pour rappel, l’article 70 de la Constitution dit que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son … Continuer la lecture , saisie par le parti au pouvoir, n’a fait que confirmer la volonté Présidentielle de se maintenir au pouvoir et ce… par*/ n’importe quel moyen. Ce n’est donc pas un hasard si (et nous citons ici uniquement un élément qui nous paraît révélateur à la fois de la réduction de l’espace politique et du non-respect des Droits humains) un des principaux rivaux potentiels à la Présidentielle, Moïse Katumbi, se voit accusé d’atteintes à la sécurité de l’état ; La Commission électorale nationale indépendante (CENI) se voit obligée de travailler dans un contexte difficile et perd de la crédibilité. Elle a mis en avant des difficultés techniques qui l’empêcheraient de respecter les délais constitutionnels (la fiabilisation du fichier électoral prendrait 16 mois alors que selon les Nations Unies cela aurait pu être fait en 9 mois). Le Dialogue national voulu par Kabila, déjà à la base source de méfiance, se retrouve aujourd’hui vidé de sa substance puisque ses détracteurs mettaient comme condition qu’il puisse aboutir à un calendrier électoral consensuel. L’Église catholique au Congo reste cependant ouverte à ce dit dialogue qu’ils considèrent comme une des dernières pistes diplomatiques permettant d’éviter que le pays s’embrase. Et pourtant, le pays semble déjà s’embraser et des manifestations sont durement réprimées par les forces de l’ordre, police et armée. À Goma (dans l’Est du Pays), à Kinshasa ainsi que dans le Katanga, la population est fatiguée de ne pas être entendue dans ses revendications pour une alternance au pouvoir et la société civile locale craint de plus en plus de dérapages. Cet énervement pourrait également se faire ressentir en Belgique, comme nous l’avons vu en février 2011 lors des émeutes dans le Matonge bruxellois, alors qu’il est prévu que les Congolais de l’étranger puissent élire un nouveau président et leurs députés nationaux. Dès lors, il est devenu nécessaire non seulement de penser en termes d’observation électorale mais également, à moyen terme, d’une éducation civique qui aurait pour triple objectif de : préparer la population à être garant de la bonne marche des élections, donner des outils citoyens pour que les responsables politiques rendent des comptes et, enfin, de prévenir les conflits ! Alors qu’il y a des morts et des arrestations arbitraires, la Belgique ne peut plus dire qu’elle attend qu’il y ait un calendrier électoral global pour financer les projets d’éducation civique de la société civile locale. Plus que jamais, et alors que la situation burundaise nous sert de contre-exemple, les congolais ont besoin d’une parole politique forte de la part de la Belgique et de l’Europe pour :
  • que Joseph Kabila respecte les délais constitutionnels et organise les élections. À ce sujet, une pétition [6]Actuellement plus de 1300 signatures récoltées coordonnée par les volontaires de la Commission Justice et Paix du Brabant-wallon montre à quel point la diaspora congolaise, entre autres, reste attachée au principe d’alternance au pouvoir ;
  • que les responsables politiques et militaires impliqués dans les violations des Droits humains soient individuellement reconnus responsables de leurs actes, ouvrant ainsi la possibilité de sanctions pénales ;
  • que la résolution 2277 adoptée le 30 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations Unies (pour une sortie de crise du pays) soit respectée et que le dialogue national puisse être accompagné par la Communauté internationale en vue d’en permettre la transparence et l’indépendance.
On est bien ici dans une situation d’urgence. Et aux arguments privilégiant une volonté de non-ingérence aux affaires internes de l’état congolais, il faut pouvoir rappeler et défendre l’universalité des Droits humains. Comme nous le rappelait le journaliste Alain Lallemand, «Quand l’État belge donne chaque année 113 millions d’euros au gouvernement de Kinshasa, il est en droit d’attendre de la bonne gouvernance » [7]Conférence organisée par Justice et Paix à Liège le 20 mai 2016. Voir aussi Lallemand, A (19 mai 2016). Kinshasa Papers : le Congo aussi aime les offshores ». Le Soir : … Continuer la lecture . Mais à long terme, il nous semble qu’une réflexion doit être menée en concertation avec nos partenaires congolais : face au constat, qui concerne à tout le moins la région des Grands Lacs africains, de « Présidents qui s’accrochent au pouvoir », nous devons nous demander pourquoi le principe d’alternance au pouvoir crée des blocages. Notre modèle occidental est-il toujours exportable en l’état ? Face à cela, Justice et Paix a initié une réflexion [8]https://www.justicepaix.be/Democratie-en-Afrique-subsaharienne-depasser-les-certitudes-occidentales que nous voudrions partager largement. Mais la tâche n’est pas aisée tellement il y a des craintes que ce discours soit récupéré politiquement. Lorsque l’on parle de bonne gouvernance, cela concerne aussi la gestion économique d’un pays et donc, pour le Congo sa gestion des ressources naturelles. La résolution adoptée par la chambre en juillet de l’année dernière est une étape importante dans le processus en vue d’une législation européenne visant à instaurer une obligation de responsabilité quant à l’importation des minerais dits de conflits. Mais ce n’est pas terminé et, au moment où les négociations entre le Conseil européen et le Parlement semblent reprendre sous l’égide des néerlandais, le processus demande toute notre attention pour que le projet de règlement ne soit pas vidé de ses aspects importants à savoir : un régime obligatoire demandant aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Axelle Fischer

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Notes

Notes
1 Voir à ce sujet l’interview de Justice et Paix sur la RTBF le 14 décembre dernier : https://www.justicepaix.be/Burundi-crainte-d-une-guerre-civile .
2 La société civile locale, a recensé les cas de près de 813 personnes mortes entre avril 2015 et mai 2016.
3 Voir le communiqué d’Unicef de novembre 2015 au sujet des enfants au Burundi : http://www.unicef.org/french/infobycountry/media_86267.html
4 FMI en 2015
5 Pour rappel, l’article 70 de la Constitution dit que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu» a été interprété le 11 mai 2016 par la Cour Constitutionnelle qui permettrait au Président de se maintenir au pouvoir et ainsi de légitimer le glissement des élections.
6 Actuellement plus de 1300 signatures récoltées
7 Conférence organisée par Justice et Paix à Liège le 20 mai 2016. Voir aussi Lallemand, A (19 mai 2016). Kinshasa Papers : le Congo aussi aime les offshores ». Le Soir : https://www.justicepaix.be/Les-societes-offshore-la-face-cachee-du-pillage-des-ressources-en-RD-Congo-1215
8 https://www.justicepaix.be/Democratie-en-Afrique-subsaharienne-depasser-les-certitudes-occidentales
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