La situation politique au Congo est largement dominée par la question électorale : les élections du 26 mars dernier dans 21 nouvelles provinces du pays ont laissé un goût amer aux observateurs locaux, l’Église catholique congolaise ayant constaté de nombreuses fraudes, intimidations et achats de votes.
Par ailleurs, la stratégie du silence et du « glissement » choisie par Monsieur Kabila énerve de plus en plus. La dernière stratégie juridique en date, l’arrêt de la cour Constitutionnelle [5] , saisie par le parti au pouvoir, n’a fait que confirmer la volonté Présidentielle de se maintenir au pouvoir et ce… par*/ n’importe quel moyen.
Ce n’est donc pas un hasard si (et nous citons ici uniquement un élément qui nous paraît révélateur à la fois de la réduction de l’espace politique et du non-respect des Droits humains) un des principaux rivaux potentiels à la Présidentielle, Moïse Katumbi, se voit accusé d’atteintes à la sécurité de l’état ;
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) se voit obligée de travailler dans un contexte difficile et perd de la crédibilité. Elle a mis en avant des difficultés techniques qui l’empêcheraient de respecter les délais constitutionnels (la fiabilisation du fichier électoral prendrait 16 mois alors que selon les Nations Unies cela aurait pu être fait en 9 mois).
Le Dialogue national voulu par Kabila, déjà à la base source de méfiance, se retrouve aujourd’hui vidé de sa substance puisque ses détracteurs mettaient comme condition qu’il puisse aboutir à un calendrier électoral consensuel. L’Église catholique au Congo reste cependant ouverte à ce dit dialogue qu’ils considèrent comme une des dernières pistes diplomatiques permettant d’éviter que le pays s’embrase.
Et pourtant, le pays semble déjà s’embraser et des manifestations sont durement réprimées par les forces de l’ordre, police et armée. À Goma (dans l’Est du Pays), à Kinshasa ainsi que dans le Katanga, la population est fatiguée de ne pas être entendue dans ses revendications pour une alternance au pouvoir et la société civile locale craint de plus en plus de dérapages. Cet énervement pourrait également se faire ressentir en Belgique, comme nous l’avons vu en février 2011 lors des émeutes dans le Matonge bruxellois, alors qu’il est prévu que les Congolais de l’étranger puissent élire un nouveau président et leurs députés nationaux. Dès lors, il est devenu nécessaire non seulement de penser en termes d’observation électorale mais également, à moyen terme, d’une éducation civique qui aurait pour triple objectif de : préparer la population à être garant de la bonne marche des élections, donner des outils citoyens pour que les responsables politiques rendent des comptes et, enfin, de prévenir les conflits ! Alors qu’il y a des morts et des arrestations arbitraires, la Belgique ne peut plus dire qu’elle attend qu’il y ait un calendrier électoral global pour financer les projets d’éducation civique de la société civile locale. Plus que jamais, et alors que la situation burundaise nous sert de contre-exemple, les congolais ont besoin d’une parole politique forte de la part de la Belgique et de l’Europe pour :
- que Joseph Kabila respecte les délais constitutionnels et organise les élections. À ce sujet, une pétition [6] coordonnée par les volontaires de la Commission Justice et Paix du Brabant-wallon montre à quel point la diaspora congolaise, entre autres, reste attachée au principe d’alternance au pouvoir ;
- que les responsables politiques et militaires impliqués dans les violations des Droits humains soient individuellement reconnus responsables de leurs actes, ouvrant ainsi la possibilité de sanctions pénales ;
- que la résolution 2277 adoptée le 30 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations Unies (pour une sortie de crise du pays) soit respectée et que le dialogue national puisse être accompagné par la Communauté internationale en vue d’en permettre la transparence et l’indépendance.
On est bien ici dans une situation d’urgence. Et aux arguments privilégiant une volonté de non-ingérence aux affaires internes de l’état congolais, il faut pouvoir rappeler et défendre l’universalité des Droits humains. Comme nous le rappelait le journaliste Alain Lallemand, « Quand l’État belge donne chaque année 113 millions d’euros au gouvernement de Kinshasa, il est en droit d’attendre de la bonne gouvernance » [7] .
Mais à long terme, il nous semble qu’une réflexion doit être menée en concertation avec nos partenaires congolais : face au constat, qui concerne à tout le moins la région des Grands Lacs africains, de « Présidents qui s’accrochent au pouvoir », nous devons nous demander pourquoi le principe d’alternance au pouvoir crée des blocages. Notre modèle occidental est-il toujours exportable en l’état ? Face à cela, Justice et Paix a initié une réflexion [8] que nous voudrions partager largement. Mais la tâche n’est pas aisée tellement il y a des craintes que ce discours soit récupéré politiquement.
Lorsque l’on parle de bonne gouvernance, cela concerne aussi la gestion économique d’un pays et donc, pour le Congo sa gestion des ressources naturelles. La résolution adoptée par la chambre en juillet de l’année dernière est une étape importante dans le processus en vue d’une législation européenne visant à instaurer une obligation de responsabilité quant à l’importation des minerais dits de conflits. Mais ce n’est pas terminé et, au moment où les négociations entre le Conseil européen et le Parlement semblent reprendre sous l’égide des néerlandais, le processus demande toute notre attention pour que le projet de règlement ne soit pas vidé de ses aspects importants à savoir : un régime obligatoire demandant aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement.