Réouverture des mines en Europe, enjeux et alternatives

La réouverture des mines pourrait être nécessaire pour soutenir notre effort industriel, mais quel est le but réel de ce développement ?

Dans le cadre de la Quinzaine de la solidarité organisée par la Ville de Bruxelles, Justice et Paix a organisée une rencontre-débat sur la question du retour de l’activité minière en Europe et en Belgique. Les échanges ont eu lieu avec Éric Pirard de l’ULg, Romain Gélin du Gréséa et Géraldine Duquenne d’Etopia, et ont notamment permis de mieux comprendre et discuter les implications environnementales de l’activité minière.

Qu’est-ce que nous consommons ?

Notre besoin en matières premières croît toujours, et ce pour trois raisons. D’abord, notre démographie augmente, et nous avons toujours besoin de plus d’infrastructures et de logements. Ensuite, nous vivons plus longtemps, et consommons donc plus longtemps les richesses de notre terre. Enfin, la qualité de vie de la population augmente, non seulement dans nos pays occidentaux, mais également dans les pays en voie de développement.

L’extraction de matières à triplé depuis 1970, et doublera encore d’ici 2060, pour atteindre 190 milliards de tonnes contre 92 en 2019 [i]. Ces matières (qui comprennent les métaux, les différentes roches industrielles comme le calcaire, le sable ou l’argile) sont nécessaires pour nos biens de consommation quotidiens, mais également pour maintenir nos infrastructures, dans nos constructions, et dans nos produits de hautes technologies. Ces derniers sont devenus des éléments essentiels de nos modes de vie moderne, et nous n’imaginons plus travailler sans ordinateur personnel, ou communiquer sans smartphone. Nos avancées technologiques nous ont également permis de développer les énergies éoliennes et photovoltaïques, qui sont indispensables pour notre transition énergétique et pour réduire notre empreinte carbone. Ce sont donc des énergies-clés dans notre lutte contre le changement climatique, mais elles ont un coût qui est souvent invisibilisé : le coût en matière première[ii] .

La plupart de ces matières premières que nous consommons est importé depuis l’étranger. En effet, nous importons la majorité des métaux nécessaires à notre consommation européenne depuis de nombreux pays, comme le Canada, l’Australie, la Chine mais également de pays en voie de développement en Amérique du sud et en Afrique. Les différentes étapes de la production de nos ressources minérales, depuis l’extraction jusqu’à la purification (l’étape de concentration de l’élément d’intérêt, souvent très polluante), se situent pour la plupart en-dehors de nos frontières, et leurs impacts sont également délocalisés : pollution de l’air, du sol et des eaux, déplacement des populations locales, impact sur les autres secteurs utilisant le sol, comme par exemple l’agriculture…

Les gisements actuels sont des moins en moins riches et conduisent donc à l’augmentation de l’échelle des exploitations minières, entrainant de plus en plus de conséquences environnementales et sociales. Sans parler de la problématique de la dépendance stratégique de certaines matières vis-à-vis des puissances étrangères, comme le célèbre cas de la Chine faisant pression sur ses partenaires commerciaux avec sa production quasi-monopoliste des terres rares, indispensables pour produire nos énergies vertes…

La réponse de l’Union Européenne

L’Union Européenne cherche à faire réouvrir des mines sur le vieux continent, au travers notamment l’initiative « matière première » de 2008 (révisée en 2011)[iii]. Cette initiative l’Union Européenne explore toutes les pistes pour s’approvisionner en ressources, comme l’établissement d’accords entre les pays exportateurs et l’Union, ou la promotion de l’économie circulaire et l’amélioration des processus de recyclages. Elle est divisée en trois piliers : le premier concerne la multiplication des traités et accords commerciaux entre les différents pays riches en ressources et l’Union Européenne. En facilitant les investissements dans ces pays, des nouvelles sources de matières premières pourraient être exploitées, ou même découvertes, conduisant à une augmentation de la prospérité économique du pays exportateur ainsi qu’au soutiens de nos ambitions industrielles. Le deuxième pilier consiste à nous approvisionner sur notre territoire européen, au travers de la réouverture des mines. Et le troisième enfin, consiste à augmenter l’investissement et la recherche dans les techniques de recyclage, et de promouvoir l’économie circulaire. Dans cette analyse, nous aborderons les piliers 2 et 3, laissant de côté les accords commerciaux.

Sur papier, la réouverture des mines en Europe semble être une solution idéale : nous sécuriserions nos besoins stratégiques en matières premières, nous revitaliserions le tissu industriel et récupèrerions un savoir-faire qui a été délocalisé, cela créerait de l’emploi. En outre, nous ne reporterions plus la pollution générée par les activités d’extractions et de purification dans d’autre régions du monde. Cependant, ces promesses soulèvent quelques questions. Les riverains et communautés locales, celles qui seraient potentiellement impactées par les pollutions liées à ces activités, seront-ils réellement consultés ? Les conséquences négatives de l’exploitation des territoires seront-ils réellement pris en compte localement par les entreprises concernées, ou chercheront-elles à délocaliser leur responsabilité ? Et la production de matière en Europe remplacera-t-elle vraiment celle des pays du sud, ou s’additionneront-elles juste pour satisfaire l’appétit de nos industries de plus en plus gourmandes ?

Le recyclage est souvent mentionné comme étant la solution idéale au problème des matières premières. Il est tentant de penser que nous n’avons qu’à recycler nos déchets pour couvrir nos besoins industriels. Avec cela, on n’aurait même plus besoin de l’extraction primaire dans les mines ! Ce n’est bien évidemment pas si simple que cela. Le recyclage est un procédé industriel lourd, utilisant beaucoup d’énergie (certes moins que si la matière était produite au travers d’une mine), et polluant. De plus, nos produits de haute technologie intègrent de plus en plus d’éléments (entre 40 et 60 pour un smartphone !), et ces éléments ne peuvent souvent pas physiquement être séparé les uns des autres, ce qui conduit à une perte inévitable de matière. Imaginons même que nous puissions récupérer 95% d’un élément (chiffre très élevé pour l’exemple, qui se trouve généralement entre 10% et 50%) issu d’un produit de haute technologie complexe, par exemple le lithium d’une batterie de voiture électrique. Cela veut dire qu’à chaque cycle de recyclage, 5% de la matière est perdue. Après 14 cycles, il ne vous reste plus que la moitié de la matière originale, ce qui entraîne donc une nécessité inévitable de trouver de nouvelles sources de matières premières hors du recyclage.

Les causes réelles de l’épuisement des ressources

Toutes ces mesures soignent les symptômes de notre surconsommation, mais pas la cause réelle du problème. Notre consommation de matière n’est pas réfléchie ni contrôlée, et ne se traduit pas par une amélioration de notre bien-être quotidien ; nous n’avons probablement pas besoin de frigo connecté, ni d’avoir un nouveau téléphone chaque année pour être heureux. Les nouvelles technologies sont aussi une source de fuite en avant : l’implémentation des réseaux 5G engendre un renouvellement des infrastructures, avec un coût en matériaux derrières… Et le changement de l’entièreté du parc automobile à essence vers des voitures électriques ne se fera pas sans une pression extrême sur les gisements de Lithium, notamment, indispensable aux batteries.

Nos ressources sur terre sont limitées. Certain pensent repousser ces limites en allant chercher des astéroïdes, ou en creusant les fonds marins. Ces solutions touchent plus à la science-fiction qu’a l’acceptation de la réalité qui nous concerne tous, et renforcent l’idée d’un monde infini et infiniment commercialisable et exploitable, qui a été le paradigme néolibéral établi depuis des décennies, voir des siècles. Et même si nous pouvions repousser nos limites, cela ne ferait qu’augmenter le gâchis de ressources qui est à la base de notre mode de vie. Il est grand temps que nous réfléchissions à ce que sont nos besoins réels, au niveau sociétal comme individuel. Nous devons ralentir notre production et notre consommation de biens inutiles, et utiliser les matériaux nécessaires à la haute technologie là où ils sont potentiellement plus utiles (comme par exemple dans les sciences médicales). Ces discussions doivent se tenir dans les cénacles politiques, mais peuvent être également être menées par tout un chacun dans notre vie quotidienne, en ouvrant le débat avec nos représentants, et en prenant le temps de pondérer ce qui nous apporter du plaisir et du bonheur au jour le jour. Par exemple, vous pourriez vous rendre compte que consommer plus ne vous apporte pas plus de bien-être, mais que consommer mieux (en vous renseignant sur les lignes éthiques des entreprises) s’aligne plus dans votre philosophie. Vous pouvez également prendre le temps d’échanger avec vos proches sur ces thématiques, et peut-être rejoindre un mouvement citoyen qui traite de ces questions.

Arthur Longrée.


[i] Perspective des ressources mondiales 2019, ONU environnement.

[ii] https://www.justicepaix.be/quelle-transition-ecologique-pour-demain-energie-climat-metaux-partie-1/

[iii] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52008DC0699&from=FR

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