Où en est-on dans la lutte contre l’obsolescence programmée ?

Obsolescence programmée, prématurée, organisée, planifiée, etc. Cela fait plusieurs années que ces mots un peu abrupts sont apparus pour désigner voire dénoncer la fin de vie précoce de toute une série d’objets du quotidien. Symptôme de notre société de surconsommation, elle devrait être fermement combattue. Mais où en est-on en Belgique et en Europe dans ce dossier ? Pourquoi les choses avancent-elles si lentement ?

Le phénomène de l’obsolescence programmée n’est pas nouveau mais pourtant les mesures concrètes semblent manquer pour le combattre. Où en sommes-nous ?

L’obsolescence programmée, c’est quoi ?

La définition de l’obsolescence programmée ne fait pas consensus. Les associations Halte à l’Obsolescence Programmée[1] ou Repair Together[2] s’accordent sur la définition suivante : l’obsolescence programmée « regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement ». Dans le dossier du bureau d’études RDC Environnement[3] (2017), commandée par le SPF économie belge, l’obsolescence programmée est définie comme « un stratagème par lequel un bien voit sa durée de vie normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage, pour augmenter son taux de remplacement ».

La différence entre ces deux définitions réside dans le caractère intentionnel ou non de l’obsolescence. La seconde met davantage l’accent sur la responsabilité du producteur (« sciemment ») alors qu’ « il ne s’agit que d’une facette de la problématique » selon Anaïs Michel, experte universitaire de la question. Le consommateur peut, lui aussi, être à l’origine de l’obsolescence en raison d’une connaissance insuffisante ou d’un mauvais entretien de ses objets. Ou encore en achetant un nouveau smartphone par exemple alors que le sien fonctionne encore. Madame Michel insiste sur le besoin d’avoir une définition neutre et objective qui ne stigmatise pas un acteur en particulier car cela risque d’être un frein dans les discussions. C’est pourquoi il est préférable de parler d’obsolescence prématurée plutôt que programmée. Peu importe finalement l’existence de l’intention puisque les conséquences sur les consommateurs et l’environnement restent les mêmes, poursuit-elle[4]. « Ce qui est à déplorer, c’est que le produit ne dure pas aussi longtemps qu’il le devrait[5] ».

De plus, les causes de l’obsolescence ne sont pas uniquement liées au producteur. Elles peuvent intervenir lors de la vente, de la distribution ou de la consommation. C’est pourquoi il convient de préciser qu’il existe différents types d’obsolescence[6] :

Technique (dite parfois structurelle, matérielle ou fonctionnelle) : c’est le fait de limiter la durée de vie d’un produit en fragilisant l’un de ses composants : en sous-dimensionnant un élément électronique, en ne renforçant pas une pièce fréquemment soumise aux contraintes et aux malformations, en plaçant un élément électronique bloquant le fonctionnement de l’appareil, etc.

Esthétique (ou psychologique) : liée aux marketing, pousse le consommateur à vouloir remplacer ses objets par du neuf pour être à la mode.

Logicielle : liée principalement à l’informatique et aux smartphones, recouvre plusieurs techniques : la limitation de la durée du support technique par rapport à la durée d’utilisation réelle, ou encore l’incompatibilité de format entre ancienne et nouvelle version du logiciel  (la mise à jour est trop lourde et fait ralentir l’appareil ce qui pousse à en racheter un nouveau).

On y ajoute parfois l’obsolescence technologique lorsque les pièces de rechange d’un produit ne sont plus disponibles. Ou encore l’obsolescence économique lorsque le prix de ces pièces décourage le consommateur de le faire réparer. Cette entrave à la réparation se manifeste aussi par la pose de « vis de sécurité » farfelues au moment de la conception ou en collant certaines pièces de l’appareil.

Quelques chiffes : 77% des Européens préféreraient réparer leurs biens plutôt que d’en acheter de nouveaux[7]. Seuls 44% des produits électriques et électroniques en panne sont réparés[8]. Entre 1985 et 2015, la durée d’utilisation d’un ordinateur a été divisée par 2,2, passant de 11 à 5 ans[9]. Un record de 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques a été généré dans le monde en 2019, en hausse de 21% en 5 ans[10].

La complexification croissante des objets pose également problème pour les réparateurs et est à mettre en lien avec l’évolution de nos sociétés où la technologie, l’électronique et le numérique ont pris une place croissante. Ces domaines constituent depuis plusieurs années des marchés florissants et la tendance s’est orientée, pour des motifs économiques, vers la miniaturisation des pièces[11]. Plus généralement, l’obsolescence prématurée est à relier au modèle économique qui caractérise notre société : un modèle de croissance dont la loi du libre marché et de la concurrence règnent en principes directeurs avec comme but l’accumulation de richesses et de profit. Vendre plus pour gagner plus. « L’obsolescence prématurée alimente la surproduction et la surconsommation pour doper artificiellement la croissance[12] ».

Obsolescence prématurée et société de croissance

Le lien entre l’obsolescence prématurée et la société de croissance est évident. « L’obsolescence accélérée des produits trouve non seulement sa source dans la société de croissance, mais elle lui sert également de pilier. Les stratégies réduisant la durée de vie des produits incitent au rachat de nouveaux produits, ce qui génère des ventes à long terme pour les entreprises et leur permet d’alimenter la croissance de leur chiffre d’affaires. Ces techniques accroissent également la concurrence entre les entreprises qui, en plus de se démarquer par le prix de leurs produits, peuvent également jouer sur la qualité de ceux-ci[13] » nous dit Anaïs Michel.

De cette façon, l’obsolescence prématurée aggrave la détérioration de l’environnement. En effet, elle accélère d’une part la production de produits composés de matières premières et d’autre part la mise au rebut de ceux-ci ce qui contribue à augmenter la masse des déchets existants. Elle représente donc un énorme gaspillage de ressources naturelles et d’énergie ! « Selon une étude de l’ADEME, les équipements d’un foyer peuvent représenter jusqu’à 25% de ses émissions de CO2. Selon les résultats de cette étude, si le parc des lave-linge, lave-vaisselle et sèche-linge en France était allongé d’une durée de vie d’une seule année, les gains seraient de 860 000 tonnes équivalent C02, soit les émissions de 1,6 million de ménages[14] ».

L’obsolescence prématurée s’oppose à une logique d’économie circulaire qui voudrait que les objets durent le plus longtemps possible en travaillant sur leur conception et en facilitant l’accès à la réparation notamment. L’économie circulaire est pourtant présentée aujourd’hui comme un objectif majeur à tous les niveaux du pouvoir politique.

Que fait le législateur ?

En Belgique, le sujet n’est pas nouveau. Notre pays avait fait office de pionnier en 2012 en adoptant une résolution au Sénat visant à lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie[15]. En 2016, trois propositions de loi sont remises à la Chambre (PS, ECOLO, Cdh). Aucune n’est votée. En 2019, à nouveau, trois propositions de loi issues des trois mêmes partis refont surface mais aucune n’a encore abouti à ce jour.

Au niveau européen, le terme est apparu à plusieurs reprises dans différents documents. En 2013, le Comité économique et social européen (CESE) publie un avis[16] dans lequel il s’oppose fermement aux cas flagrants d’obsolescence programmée. Il plaide (déjà) pour l’affichage de la durée de vie estimée des produits pour orienter les choix des consommateurs et renouveler leur confiance ainsi que pour la création d’un Observatoire européen de l’obsolescence programmée. Le Parlement européen a lui aussi pris position dans différents rapports dont le rapport Durand en 2017, qui plaide pour la durabilité des produits et la lutte contre l’obsolescence. Le terme y apparaît 26 fois ! Le rapport demande qu’une définition commune soit adoptée au niveau européen et qu’un système qui la détecte soit mis en place. Les deux documents notent que ce sont les personnes les plus défavorisées qui subissent le plus l’obsolescence, car celles-ci se tournent vers des produits à bas coût peu durables et peuvent s’endetter pour réaliser ces achats. Plus récemment, la Commission européenne indiquait sa volonté de lutter contre le phénomène dans son nouveau plan d’action pour une économie circulaire.

Parmi les états membres, la France se démarque par l’adoption d’une loi en 2015 qui condamne l’obsolescence programmée. Si cette loi a le mérite de donner de la visibilité au sujet, son application est très compliquée tant les éléments de preuve requis pour prouver un cas d’obsolescence sont difficiles à mettre en œuvre[17].  Jusqu’à présent, deux actions en justice ont été menées par l’association HOP et ont donné lieu à des sanctions contre Apple et Epson. Mais dans les deux cas, le motif de l’obsolescence programmée n’a pas été retenu.

Ce constat pousse la chercheuse Anaïs Michel à mettre en doute l’utilité d’une loi spécifique sur l’obsolescence prématurée. Elle invite à s’interroger sur la pertinence de lois existantes et les améliorations à y apporter pour y intégrer la lutte contre les cas d’obsolescence prématurée. Elle cible principalement la Directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales dont les dispositions, moins exigeantes que la loi française, permettent de s’attaquer au phénomène. L’Italie a d’ailleurs mobilisé cette directive lors de deux actions victorieuses  intentées contre Apple et Samsung[18].

Des initiatives à encourager !

Sanctionner les cas d’obsolescence prématurée est essentiel mais doit être accompagné d’une série d’autres mesures pour améliorer la durabilité de nos objets. Le rapport de RDC environnement en pointait trois principales : favoriser l’écoconception et les achats durables, encourager une meilleure utilisation des produits et favoriser la réparation. A chacun de ces objectifs sont reliées des mesures précises. Afficher la durée de vie, le degré de réparabilité des objets et la disponibilité des pièces détachées permettrait au consommateur de mieux orienter ses choix de consommation et permettrait de créer un cercle vertueux en faveur d’achats durables. Rendre obligatoire la disponibilité des pièces détachées, les plans et outils des objets, tout comme mettre en place des avantages fiscaux (TVA et impôts réduits) permettrait de favoriser la réparation des objets. Des campagnes d’information pourraient également être mises en place soutenues par nos gouvernements pour sensibiliser et informer le consommateur sur ces sujets. Certaines de ces mesures se jouent au niveau européen.

Si une partie des mesures sont du ressort des pouvoirs politiques, les consommateurs peuvent aussi en partie résister à ce phénomène délétère. Malgré la complexité technologique croissante, apprendre à mieux connaître ses objets et leur entretien peut considérablement prolonger la durée de vie de ceux-ci. A ce sujet, plusieurs guides existent. Compte tenu des impacts environnementaux et sociaux de la production des objets de consommation, résister à la tentation de s’en procurer de nouveaux est aussi important. Cela passe par un questionnement plus profond sur nos besoins. Enfin, préférer l’option de la réparation quand cela est possible, à travers les Repair Café notamment.

Plus largement, ces différentes mesures seront insuffisantes si nos sociétés ne parviennent pas à dépasser le modèle capitaliste de croissance qui constitue une véritable impasse écologique. L’obsolescence programmée est l’une de ses manifestations et la lutte contre ce phénomène doit débuter à la racine pour généraliser un modèle économique plus juste et durable.

Conseils au citoyen-consommateur :

– Sur ce document de l’Agence de la Transition écologique française (ADEME), vous trouverez de nombreux conseils et liens pour bien entretenir vos objets.

– Le livre « Les éco-gestes informatiques au quotidien. Un guide pratique pour agir » de Bela LOTO HIFFLER vous donnera de nombreuses pistes pour utiliser vos objets de façon plus responsable.

– Si l’un de vos appareils est devenu trop vite inutilisable, n’hésitez pas à le signaler sur la page de Test Achats « Trop vite usé »

– Différents guides existent pour réaliser les achats les plus durables possibles, allez visiter la page produitsdurables.fr.

– Repair Together propose sur son site un annuaire de la réparation qui vous permettra de trouver un réparateur près de chez vous

– Toujours sur la réparation, l’association IFIXIT propose de nombreux tutoriels et guides pour s’approprier la réparation. Une référence !

Géraldine Duquenne.


[1] L’association française HOP est l’association de référence sur l’obsolescence programmée. Elle est à l’origine des deux actions en justice contre Apple et Epson.

[2] L’association belge Repair Together aide et soutient les initiatives en faveur d’une utilisation durable des ressources, principalement la réparation à travers les Repair Cafés.

[3] L’obsolescence programmée : politiques et mesures belges de protection du consommateur, rdc environnement, 2017.

[4] En se référant à Tobias Brönneke.

[5] A. Michel, Est-il pertinent de définir légalement et de pénaliser les pratiques d’obsolescence prématurée ? Analyse de la Loi française au regard des récentes décisions italiennes contre Apple et Samsung, CRIDES Working Paper Series no. 5/2019; Colloque sur le Droit en Transition (2019 Bruxelles: Presses de l’Université Saint-Louis), p. 6.

[6] La catégorisation suivante est celle proposée sur les sites web des associations Repair Together et Halte à l’Obsolescence Programmée.

[7] Eurobaromètre 2014.

[8] Etude Ademe 2007.

[9] GreenIT.fr, BORDAGE F. La durée de vie des équipements électroniques régresse, 2015.

[10] Global E-waste Monitor 2020 de l’ONU.

[11] La loi de Moore est une loi purement économique qui visait à réduire par une facteur 2 la taille du transistor tous les 18 mois, le but étant de produire des circuits électroniques à bas coût car plus petit signifie moins cher.

[12] Page d’accueil du site de Halte à l’Obsolescence Programmée.

[13] Ibid, p. 1.

[14] Voir article de HOP, « L’obsolescence programmée, l’enjeu trop souvent oublié des politiques climatiques », août 2021.

[15] Si le texte de départ visait à rendre obligatoire l’affichage de la durée de vie des produits électroniques et électroménagers ainsi que leur caractère réparable, le texte finalement adopté apportait peu d’éléments concrets et ne semble pas avoir été suivi de réelles avancées.

[16] « Pour une consommation plus durable : la durée de vie des produits de l’industrie et l’information du consommateur au service d’une confiance retrouvée », avis CESE 2013.

[17] Pour plus de détails, voir l’article d’Anaïs Michel référencé plus haut.

[18] Plus de détails dans l’article d’Anaïs Michel précédemment cité.

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