Déo Namujimbo, journaliste congolais exilé, témoigne des défis qui frappent la presse en RD Congo. Menaces, censure, assassinats, les journalistes doivent choisir entre se taire, risquer leur vie ou fuir. Malgré l’exil, Déo continue de dénoncer les injustices et plaide pour une solidarité internationale et pour la liberté d’informer.
Crédit : Déo Namujimbo.
Né en 1959 à Goma, en pleine période des indépendances, Déo Namujimbo porte dans son histoire personnelle les cicatrices des déchirures de son pays. Fils d’un officier de police, son enfance est rythmée par des déplacements continus. Cette politique héritée de l’ère Mobutu où les responsables de la sécurité, comme l’était son père, étaient constamment mutés pour éviter toute ancrage et d’éventuelles accoutumances pouvant aboutir à une tentative de coup d’État. « J’ai beaucoup bougé au sein de la RD Congo, j’ai grandi partout », confie-t-il, une phrase qui résonne comme le présage de sa future vie de journaliste.
Son éducation est marquée par une discipline de fer. « Je n’ai pas eu de jeunesse », raconte-t-il, évoquant un père soucieux de transmettre à son fils aîné une parfaite maîtrise du français. Cette rigueur linguistique, bien qu’imposée, devient paradoxalement son passeport vers le journalisme. Dans chaque nouvelle école, il trouve refuge dans les bibliothèques, préférant les livres aux terrains de football.
Le destin frappe à sa porte sous la forme d’un magasin, celui de sa mère, situé à quelques centaines de mètres de la radio nationale. Les journalistes qui le fréquentent remarquent ce jeune homme à l’expression soignée. « Déo, tu vas faire l’émission à ma place », lui propose un jour l’un d’entre eux. Ces remplacements bénévoles deviennent sa porte d’entrée dans le métier. Il crée même sa propre émission de divertissement, développant ainsi ses premières armes dans l’animation et la production radiophonique. « Je n’ai jamais choisi d’être journaliste, c’est le journalisme qui m’a choisi », affirme-t-il aujourd’hui. Cette vocation inattendue le conduit d’abord à étudier la sociologie industrielle à l’Université de Lubumbashi, faute d’école de journalisme accessible – la RD Congo n’en comptait qu’une seule dans tout le pays à l’époque.
De l’histoire individuelle au combat collectif
Le système médiatique congolais est gangréné par un phénomène que Déo appelle le « coupage ». « Il n’y a pas de vrai journalisme en RD Congo », déplore-t-il. En effet, les journalistes et les médias en RD Congo font face à une précarité extrême. Les contrats de travail sont presque inexistants, et la pratique du « coupage », où les journalistes reçoivent une compensation pour couvrir un événement ou diffuser une information, est courante. L’aide destinée à soutenir la presse, bien que prévue par la législation nationale, n’a jamais été distribuée de manière claire et équitable. La plupart des médias ne sont ni rentables ni autonomes, et sont souvent sous l’influence de leurs financiers. « Les médias appartiennent soit à des partis politiques, soit à des hommes d’affaires ». Dans ce contexte, l’indépendance journalistique devient un luxe dangereux. Chaque article, chaque reportage peut déclencher des représailles. Les journalistes font face à une insécurité croissante : arrestations, violences, menaces, disparitions forcées, exécutions, et attaques contre les médias, qui sont parfois suspendus, pillés ou détruits. Les forces de sécurité, souvent impliquées dans ces abus, agissent sans crainte de sanctions. Depuis le début de 2023, les journalistes subissent une montée des pressions et des représailles. Certains médias sont même contraints par des groupes armés soit de modifier leur contenu éditorial soit de ne pas publier du tout.
La situation actuelle en RD Congo est paradoxale : à mesure que le pays devient de plus en plus instable, l’accès aux ressources minières devient facile pour certains intérêts étrangers. Les journalistes qui tentent d’exposer ces mécanismes se retrouvent face à un choix cornélien : se taire et survivre, ou parler et risquer leur vie. Comme l’explique un journaliste de RFI cité par Déo, « le système est tel que pour leurs intérêts personnels, les gens préfèrent qu’il y ait la guerre. »
Le parcours de Déo illustre parfaitement les défis auxquels font face, dans leur quotidien, les journalistes congolais. Comme lui, beaucoup se retrouvent confrontés à un choix impossible : l’autocensure ou l’exil. « Le métier est devenu très dangereux », explique-t-il. Les journalistes sont « traumatisés par le nombre de leurs collègues en prison ou assassinés. Ils savent des choses, mais n’osent pas les écrire. » Cette peur constante devient le quotidien de ceux qui osent encore exercer ce métier. La situation est particulièrement critique lorsqu’il s’agit de sujets sensibles. Alors même qu’il réside désormais en France, Déo en fait l’expérience lorsqu’il tente de publier des ouvrages sur la situation dans la région des Grands Lacs et, notamment ses relations avec les pays frontaliers.
La situation en RD Congo est d’autant plus préoccupante que plusieurs journalistes ont payé le prix fort pour leur engagement. Stanislas Bujakera, correspondant de Jeune Afrique, a été arrêté pour avoir exposé des informations sensibles sur les conflits miniers. Ce cas rappelle celui de Serge Maheshe, journaliste de Radio Okapi, assassiné en 2007, ainsi que Didas Namunjimbo, frère de Déo Namunjimbo, tué en 2008 pour son travail de dénonciation de violences.
La résilience médiatique par la parole
Face à cette situation, la résistance s’organise. Déo, comme beaucoup de ses confrères, refuse de se taire. Alors, les journalistes développent des stratégies de survie. Certains choisissent le chemin d’exil, d’autres changent de métier. Les plus courageux, ou les plus téméraires continuent leur mission d’information en jonglant avec les lignes rouges. Un réseau informel de solidarité s’est tissé avec le temps. Celui-ci, permet le partage d’informations et alertes (…). Cette entraide devient cruciale dans un contexte où les institutions officielles, semblent impuissantes ou peu désireuses d’améliorer la situation.
L’histoire de Déo, de la RD Congo à son exil en France, illustre la résilience d’une profession assiégée. Son combat personnel pour la vérité prend une dimension collective lorsqu’il participe à l’organisation de conférences, de rencontres pour « toucher les bonnes oreilles ». Malgré les tentatives d’intimidation, il persiste dans son engagement.
Le message de Déo reste clair : la solidarité internationale est cruciale. Il faut continuer à organiser des événements, à sensibiliser l’opinion publique en Belgique, en France, à soutenir les journalistes menacés. Car au-delà des histoires individuelles, c’est l’avenir de l’information libre en RD Congo qui est en jeu. Chaque journaliste forcé au silence ou à l’exil représente une voix de moins pour collecter des informations afin de les mettre à la disposition du public.
La situation des journalistes en RD Congo nous rappelle que la liberté de la presse n’est pas un acquis, mais un combat quotidien, en Belgique aussi. Le parcours de Déo, comme celui de ses confrères, témoigne d’une profession qui refuse de mourir malgré les pressions. Dans un pays aux richesses immenses, mais où la population souffre, le rôle des journalistes devient plus crucial que jamais. Leur silence forcé ou leur exil ne représente pas seulement une tragédie personnelle, mais une perte immense pour toute la société congolaise.
La société civile en Belgique a un rôle essentiel à jouer pour soutenir cette résistance médiatique et promouvoir la liberté de la presse en RD Congo. Des initiatives concrètes peuvent être prises, comme l’organisation de conférences, de campagnes de sensibilisation et de soutien aux journalistes menacés. Par le plaidoyer politique et la mobilisation citoyenne, la société civile en Belgique peut attirer l’attention des décideurs et encourager des actions de soutien à la liberté d’expression en Afrique centrale. Des partenariats avec les ONG locales et les acteurs de la société civile congolaise sont également indispensables pour renforcer ce combat de l’intérieur. Cette solidarité transnationale permet de créer une pression sur les autorités locales tout en rappelant que le droit à l’information est essentiel pour la démocratie, la paix et la justice.
Louise Lesoil.