La justice sociale à l’ère du numérique : le pouvoir des réseaux sociaux

Avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication (TIC) et de l’internet, les réseaux sociaux ont démultiplié les moyens de communications, les sources d’informations et les espaces d’interactions. Ces plateformes permettent de rendre diverses causes sociales visibles et de défendre des revendications politiques.   Les réseaux sociaux, dont les plus connus sont Facebook, X (anciennement Twitter) et Instagram, ont ainsi agi comme catalyseur à portée mondiale pour certains mouvements ayant germé en ligne tels que Me Too, Black Lives Matters, Fridays For Future, Ni Una Menos, Free Palestine.

Crédit : Mike Von.

Justice sociale et intersectionnalité(s)

Les Nations Unies définissent la justice sociale comme un concept-cadre basé sur la dignité humaine, l’égalité des chances, la solidarité et le respect des droits humains. De ce concept découle une multitude de revendications dont le champ d’application s’étend à toutes les dimensions de la société et ce à travers les systèmes de pouvoir.

La prise en compte simultanée de différents axes de discrimination renvoie au concept d’intersectionnalité[1], compris ici comme un outil d’analyse permettant de mieux comprendre les inégalités selon une approche holistique et systémique, c’est à dire globale À travers le prisme de l’origine, mais aussi de la classe sociale, des situations de handicap, de la sexualité, ou encore, du genre, l’intersectionnalité permet de mettre en exergue des situations invisibilisées par les systèmes de pouvoir et d’oppression. En d’autres termes, « tout en maintenant la justice sociale comme objectif principal, [l’intersectionnalité] intègre différentes luttes pour les droits civiques »[2].

Comprendre l’intersectionnalité, c’est pouvoir reconnaitre que l’expérience de vie et les opportunités sociales, politiques, économiques d’une femme latino-américaine, migrante et en situation de handicap, par exemple, est au moins sujette à trois formes de discrimination : son genre, son origine, et son handicap.

Le pouvoir fédérateur des réseaux sociaux

Si la prise en compte de la notion d’intersectionnalité démultiplie les dimensions identitaires et les enjeux à considérer, les réseaux sociaux offrent l’espace nécessaire au développement et à l’expression des multiples luttes sociales qui en découlent.

En offrant des outils de communication modernes et plus directs, les réseaux sociaux ont permis à l’activisme de se réinventer et au grand public de participer activement dans la défense des injustices et inégalités qui peuvent les toucher de près ou de loin. Ainsi, les utilisateurs·rices de réseaux sociaux disposent de divers moyens d’action : pétitions en ligne, groupes privés par thématiques, hashtags (#), création et partage de vidéos, podcasts, images, textes, etc. En contraste avec les médias traditionnels (TV, radio, journaux), ces outils vont au-delà de la simple diffusion de messages car ils favorisent aussi la création de ressources collaboratives et de communautés engagées, permettant à chacun·e de contribuer activement au changement social en tant que citoyen·ne numérique (digital citizen).

À l’origine des mobilisations sur les réseaux sociaux, c’estsouvent l’extrapolation du personnel et la mise en commun des expériences qui permettent la formation de véritables communautés engagées dans la poursuite de justice sociale. Les utilisateur·rices partagent des expériences personnelles, des témoignages ou des opinions, souvent liés à des enjeux sociaux ou politiques. Ces récits individuels deviennent alors des points de ralliement, et ce,au-delà même du cadre numérique, pour des personnes ayant des préoccupations ou des valeurs similaires.

Un exemple : En 2013, en réponse à l’acquittement du meurtrier de Trayvon Martin, un jeune afro-américain de 17ans, le mouvement Black Lives Matters s’est formé en ligne sous l’hashtag #BlackLivesMatter pour mettre en lumière la violence (notamment policière) et le racisme systémique à l’égard des personnes afro-américaines. Le mouvement a pris une ampleur mondiale en 2020, suite au meurtre de George Floyd dont les images vidéo de sa brutale arrestation ont rapidement circuler sur les réseaux sociaux, où des campagnes de sensibilisation et de protestation ont été entreprises.

Face à l’indignation collective, cette mobilisation numérique s’est traduite en manifestations nationales et internationales. Ainsi, dans un contexte où la distanciation sociale était une priorité, les vagues de protestations ont démontré une solidarité telle, que manifester contre l’oppression et les injustices sociales était beaucoup plus préoccupant que le COVID[3].

Ces mobilisations ont pleinement intégré le concept d’intersectionnalité, rassemblant diverses communautés, dont la communauté latino-américaine pour laquelle le racisme est aussi une problématique majeure. Le mouvement a également bénéficié d’un soutien accru de personnes blanches[4], renforçant ainsi la solidarité intercommunautaire.

Ainsi, les réseaux sociaux possèdent un pouvoir unique pour amplifier les voix des opprimé·es et catalyser des actions collectives pour la défense de la justice sociale. Néanmoins, ces initiatives se heurtent également à des obstacles.

Les défis de l’activisme digital

Bien que les outils numériques soient porteurs de progrès et favorisent l’intégration dans la société, leur bénéfice est dépendant de l’accès à internet. Il est donc important de souligner l’existence d’une fracture numérique engendrée par des inégalités de moyens, d’accès mais aussi de compétences[5]. Les outils numériques sont un privilège souvent banalisé, alors qu’ils représentent un véritable déficit pour d’autres, particulièrement accentué au sein des classes sociales et dans les régions défavorisées.

Autre défi de taille, la manipulation de l’information et l’accès à l’information donne lieu à une réelle guerre de l’information, où fake news et désinformation contribuent à la polarisation des idées et aux discours de haine en ligne. En période de tensions ou de conflits, les coupures volontaires d’internet sont également devenues courantes pour empêcher la libre circulation des informations, tandis que les algorithmes invisibilisent certains contenus. Par ailleurs, les mobilisations en ligne qui se traduisent par des actions sur le terrain sont souvent surveillées, avec l’usage de technologies de traçage permettant d’identifier les militant·es et de contenir l’ampleur des mouvements.  Ces différentes tactiques de contrôle et de censure ont été observées en 2021 en Colombie, à Cuba, au Myanmar, au Soudan, en Russie en 2022, et récemment à Gaza[6].

D’autre part, l’impact réel des mouvements sociaux en ligne est souvent questionné en rapport au débat public qu’il génère, un débat qui serait davantage émotionnel, réactif, plutôt que réflexif. Ceci pose aussi la question d’un activisme performatif, renvoyant à un engagement de masse mais qui se limiterait à des gestes symboliques, à un effet de groupe et à une tendance momentanée, plutôt qu’à des actions honnêtes, concrètes et durables. Toutefois, c’est cette capacité de mobilisation et d’actions collectives qui émergent directement des communautés populaires et légitimise aussi les mouvements sociaux en ligne.

Au-delà des mobilisations en ligne

Bien que l’impact des campagnes et actions sur les réseaux sociaux soit parfois jugé limité, elles offrent un avantage majeur : permettre à chacun·e, où qu’elle ou il soit, de soutenir des causes sociales et de rejoindre un réseau de solidarité transcendant les frontières et identités.

De plus, ces mobilisations débordent souvent au-delà du numérique. Ainsi, les réseaux ne s’opposent pas aux méthodes traditionnelles de mobilisation mais sont complémentaires à celles-ci, notamment en leur capacité de diffusion mondiale d’information et des causes de justice sociale.

De cette façon, les mouvements gagnent en influence, rendant certaines causes impossibles à ignorer par les décideurs et décideuses politiques et même par les acteurs économiques qui peuvent se retrouver en situation de boycott. En plus de l’impact des pertes économiques immédiates, le boycott a aussi un effet d’entraînement, encourageant d’autres entreprises à adopter des comportements plus éthiques, ainsi qu’une capacité d’influence des décideurs et décideuses politiques.

Favorisant l’émergence de solidarités transnationales, les réseaux sociaux permettent de dépasser les barrières sociales, les frontières physiques et géographiques, mobilisant les masses autour de causes communes qui traversent différentes communautés et identités. Les réseaux sociaux sont devenus des outils puissants pour amplifier les voix en faveur de la justice sociale, mais leur usage nécessite une approche réfléchie et responsable. En tant que citoyen·ne, il est essentiel de vérifier les informations avant de les diffuser et de ne pas céder à l’urgence émotionnelle qui peut souvent dominer ces espaces. Participer aux discussions, soutenir des causes à travers des hashtags et rejoindre des communautés en ligne permet de renforcer la portée des mouvements. Toutefois, cet engagement en ligne doit toujours être complété par des actions concrètes, dans la vie réelle, pour avoir un impact durable et véritable.

Andrea Marin Cardona. 


[1] En 1989, Kimberle Crenshaw plaide pour la reconnaissance juridique de la notion d’intersectionnalité.  

[2]  Lucia Picarella (2022). The power of images and the role of social media in Black Lives Matter’s social justice demands. Società Mutamento Politica,13(26), 157-168.

[3] Arana-Chicas, E., Jones, B. D., Cartujano-Barrera, F., & Cupertino, A. P. (2021). « Black Lives Matter Protesters’ Beliefs and Practices During the COVID-19 Pandemic. », Journal of Health Ethics, 17(1).

[4] Ibid. Picarella (2022).

[5] Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation (2016), « Les fractures numériques : Comment réduire les inégalités ? », Au quotidien.

[6] Feldstein Steven (2022). « Government Internet Shutdowns Are Changing. How Should Citizens and Democracies Respond? », Carnegie Endowment for International Peace, 1-52.

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