L’intergénérationnel au secours de la croissance ?

Le vieillissement de notre population européenne nous confronte à d’inédits défis sociaux et économiques. Aussi, la Commission européenne nous propose en cette année 2012 de réfléchir et d’agir en faveur de seniors actifs et d’une meilleure collaboration entre générations. Les changements démographiques que nous vivons seraient pour tous les Européens une opportunité d’innover [1]http://europa.eu/ey2012/ey2012.jsp?langId=fr .

Ce sont les rôles de la personne dite « âgée » au sein de notre société que l’Europe et ses partenaires de la société civile souhaitent réinventer, diversifier, renforcer. Les acteurs régionaux et locaux sont encouragés à promouvoir le vieillissement actif dans les domaines de l’emploi, de la participation à la société, de la santé, de l’autonomie et de la solidarité entre les générations. La stratégie de la Commission européenne veut modifier la représentation de la vieillesse comme celle d’un état diminuant et mettre en œuvre des politiques inclusives. Elle se confronte ainsi à l’un des paradoxes de nos sociétés occidentales : un système de santé publique à l’origine d’une espérance de vie toujours plus longue versus la mise à l’écart de nos personnes âgées. Le « vieillissement actif » est un « processus » dit Age Platform Europe [2]http://www.age-platform.eu/fr, la coalition d’organisations partenaires de la Commission européenne. Un processus ? C’est donc qu’il y aurait encore un « devenir » pour nos anciens. Ce processus vise autant d’objectifs humanistes qu’économiques. D’une part, créer une société amie de tous les âges au sein de laquelle serait reconnue l’importance de nos seniors, améliorer la dignité des personnes… De l’autre, exploiter les ressources de savoirs, d’expériences, de temps des personnes âgées pour créer de la croissance économique. Ces deux approches sont–elles conciliables ? Quels rôles pour notre secteur associatif en Belgique ? Est-il davantage question d’améliorer la vie de nos anciens ou, pour faire court, de relever le taux d’emploi des salariés âgés ? Relation entre générations : chiffres et représentations à la base des conflits ? En 2010, notre Bureau fédéral du Plan comptait 26 personnes âgées (65 ans et plus) pour cent personnes d’âge actif (15 à 64 ans). L’allongement de la durée de vie et la diminution générale de la fécondité [3]Bien que le dixième rapport annuel du Comité d’étude sur le vieillissement du Bureau fédéral du Plan dénote une hausse de la fécondité amènent comme prévision pour 2060 un ratio de 42 personnes âgées pour 100 personnes d’âge actif. Autrement dit, une proportion grandissante d’une population nommée jusqu’à présent « inactive » dont le stéréotype est celui d’être un « fardeau » pour la société. Les nouvelles générations entrevoient la menace de devoir assumer un déséquilibre des dépenses publiques envers les retraites et la dépendance des personnes âgées. Si l’on ajoute à cela les dettes économiques et environnementales et le rapport de pouvoir entre une vieillesse vue comme conservatrice et une jeunesse dite désabusée, d’aucun annonce l’avènement d’un conflit de générations. Cette vision pessimiste est hâtivement brossée sur un constat néanmoins réel d’un vieillissement démographique accéléré dans notre contexte de récession économique. Cependant, les relations entre générations ne doivent pas être abordées uniquement dans le cadre des systèmes de solidarité gérés par les administrations publiques. Elles sont également à envisager dans les liens interpersonnels, notamment familiaux. Ces derniers sont perçus de deux manières antagonistes. Tantôt l’individualisme est décrié (chacun pour soi et le home pour les vieux !), tantôt la simple mise en présence de plusieurs générations serait gage d’une solidarité naturelle. Or, l’éclatement temporel et géographique de la vie de famille ne semble pas favoriser les occasions de contact et d’entraide, ce qui peut également être générateur de conflits. Vieillissement actif : enjeux à l’horizon 2020 La Commission européenne ne présente pas les choses sous l’angle de potentiels conflits macro ou micro sociaux, elle souhaite « maintenir la solidarité entre les générations dans les sociétés qui connaissent une augmentation rapide de la proportion de personnes âgées ». Pour cela, l’Europe et ses partenaires préconisent envers les seniors le développement d’une attitude positive, un marché du travail inclusif, des infrastructures, des biens et des services adaptés. Les troisième et quatrième âges doivent être citoyens, artistes, sportifs et continuer de se former. Un programme chargé ! Ce programme chargé a différents enjeux et l’un d’eux est la croissance économique. Outre le bienfait social d’une population de personnes âgées actives, c’est l’apport économique en expériences, en temps et en ressources financières qui est visé, comme travailleurs, bénévoles, ou supports familiaux. L’objectif de l’U.E. pour 2020 est d’atteindre un taux d’emploi de 75% pour les 20 à 64 ans et de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté. Impossible à atteindre si les individus ne travaillent pas plus longtemps. Cependant, être salarié, volontaire ou baby-sitter plus longtemps requiert une bonne santé. Or, depuis quelques années, l’État se retire de différents systèmes publics : poste ou télécommunications par exemple. La Belgique est déclarée en récession par sa Banque nationale depuis février 2012, l’État opère des restrictions budgétaires : la sécurité sociale et les autres services publics ou organismes subsidiés comme les hôpitaux ne seront pas épargnés. On observe la fusion de ces derniers, l’encouragement à prendre une assurance privée et une épargne pension dans les banques. La stratégie de plus en plus libérale de notre État belge est en contradiction avec un vieillissement actif pour tous. La solidarité entre générations : tous égaux ? La solidarité entre générations serait-elle un remède à une société libérale et individualisante ? La diminution de la solidarité publique appelle davantage d’entraide informelle, notamment familiale. Et pourtant, cet aspect n’apparaît guère dans le plan européen de cette année. En cela, la Commission européenne aurait peut-être raison. Premièrement, la solidarité familiale passe d’abord par les transferts financiers. Ce sont, sans grande surprise, les couches les plus fortunées qui donnent le plus à leur descendance. Ce phénomène renforce les inégalités entre des populations aux niveaux de vie différents. Ensuite, on remarque aussi que les femmes sont davantage actives dans les relations d’entraide familiale que les hommes. Enfin, l’éclatement géographique est un frein à la solidarité de famille. Nous sommes tous inégaux devant la solidarité familiale. Puisque l’État se retire insensiblement des systèmes de solidarités organisés et que les solidarités familiales sont variables, la Commission européenne à peut-être raison de confier la mise en œuvre du vieillissement actif et la solidarité entre générations aux acteurs locaux et régionaux : associations, universités, PME, villes et communes. Les associations face aux projets de l’UE Ces acteurs locaux et régionaux doivent se regrouper en plateformes internationales pour travailler. Leurs projets sont par exemple, d’améliorer les compétences des travailleurs âgés en matière de nouvelles technologies, d’organiser des échanges entre bénévoles de différents pays ou encore d’anticiper les maladies neuro-dégénératives. Mais László Andor, Commissaire européen en charge de l’Emploi, des Affaires sociales et de l’Inclusion nous avertit dans une brochure de 2011: « La grande majorité des initiatives visant à promouvoir le vieillissement actif ne bénéficiera d’aucune aide financière de l’UE » [4]« Comment promouvoir le vieillissement actif en Europe – Soutien de l’Union européenne aux acteurs locaux et régionaux », europa.eu/ey2012/BlobServlet?docId=7005&langId=fr . Heureusement, en ce qui concerne les associations, celles-ci n’avaient pas attendu 2012 pour collaborer avec les 3e et le 4e âge. Elles ont depuis longtemps mis en place des services et des activités pour et avec les personnes âgées : soins, clubs des aînés, repas, mobilité,… Ces dernières années, ces actions ont été nombreuses à s’inscrire dans une approche intergénérationnelle. Celles-ci se déclinent de plusieurs manières : en activités d’occupation qui développent les relations conviviales, en rencontres de témoignages qui contribuent à la construction identitaire et au partage de valeurs ou en actions d’entraide : bénévolat, soutien scolaire, initiation aux nouvelles technologies. Notons aussi les activités d’éducation permanente, comme dans notre association Justice et Paix, dont le but n’est pas l’intergénérationnel en soi mais au cours desquelles se croisent plusieurs générations pour comprendre, analyser et agir. Dans tout le projet 2012 de l’UE sur le vieillissent actif et la solidarité entre générations, on trouve en filigrane ce désir d’approche intergénérationnelle. Or, lorsque l’on se penche sur les visions, missions, projets des associations belges, (plateforme « intergénérations.be », réseau « Courants d’âges », opération « Carrefours des générations »), on s’aperçoit que celles-ci ne visent absolument pas la rentabilité de nos aînés ou leur participation à la croissance économique ! Il s’agit plutôt de bien–être, de rencontres, de compréhension mutuelle ou encore d’engagement ! Et nos associations sont parmi les spécialistes de l’intergénérationnel ! À l’heure actuelle, les associations d’éducation permanente comme la nôtre doivent se battre pour obtenir des subsides. Ce constat a été mis en avant lors de la rencontre « Ebullitions citoyennes » organisée par la FESEFA, la Fédération des Employeurs des Secteurs de l’Éducation permanente et de la Formation des Adultes. Alors que faire ? L’Etat belge fait des coupes budgétaires, l’Europe n’accordera des subsides qu’à un petit nombre d’initiatives… Nos associations devraient–elles, hypothétiquement, allier dans leurs projets émancipation et rentabilité des aînés pour obtenir des financements ? S’il est bien dans les missions de nos associations d’éducation permanente de sensibiliser, d’informer, de faire progresser chacun par l’analyse critique et l’action, il n’est pas question d’amplifier les compétences pour que chacun soit plus utile à une croissance économique. La croissance seule n’est pas pour nous la base du bien-être ou de la citoyenneté active. Une société amie de tous les âges : quelques pistes Les conflits entre générations ne sont que « vue de l’esprit », il n’y aura pas d’armes de guerre ou d’affrontements entre jeunes et vieux. Mais concrètement on peut craindre le mal-être, la violence psychologique et sociale, une régression de notre société. Le « vieillissement actif » : ce programme hyper chargé pour nos vieux jours, nécessite une santé de fer. Et pourtant, actuellement, les services publics – de santé notamment – sont le point de mire de la politique libérale. Dès lors, on peut craindre que les personnes en mesure de payer elles-mêmes de bons soins médicaux et donc d’assurer leurs activités seront valorisées, tandis que les autres seront d’autant plus stigmatisées. Il serait primordial de revaloriser les systèmes de santé publique avant de s’engager dans la politique de vieillissement actif. Vieillissement actif et solidarité entre générations seraient les moyens pour construire une société inclusive des personnes âgées et pour maintenir la croissance économique. Sachant que les associations sont parmi les spécialistes de l’approche intergénérationnelle et qu’elles ont besoin de subsides, il est souhaitable qu’elles soient vigilantes à deux choses : leur instrumentalisation au profit d’une croissance économique comme fin en soi et leur mise au service d’un activisme forcé des personnes âgées. Pour construire notre société avec les personnes âgées, quelques réflexions et actions nous semblent importantes à mener par les citoyens, nos associations, l’État et l’Europe. Comme pour toute problématique, il est primordial de demander les avis et souhaits des premiers concernés. Comment les personnes âgées et nous – mêmes pour nos vieux jours, souhaitons participer à la société et dans quels buts ? Nos citoyens âgés doivent faire entendre leur voix, tandis que les associations et pouvoirs politiques doivent les y aider, les écouter et agir en concertation. La connaissance mutuelle entre générations est également un travail de premier plan pour lutter contre les stéréotypes, modifier les représentations et éveiller la curiosité des jeunes pour les vieux et vice versa. Pour cela, les échanges entre personnes de tous les âges doivent être favorisés dans les activités du quotidien, les lieux de décisions politiques ou de socialisation comme les associations. Par rapports à ces activités ou à ces lieux de socialisation, une réflexion et des politiques de mise en œuvre sont nécessaires pour trouver des solutions aux problèmes de mobilité ou de handicap, qu’il soit physique ou cognitif. Il faut par exemple améliorer l’accessibilité des transports et de l’aménagement des infrastructures. Selon nous, il est également important de prendre en compte la dimension familiale de la solidarité en soutenant les familles : leur proposer des formations, une prise en charge de répit ou encore des outils et services d’aide. Il serait souhaitable voire nécessaire que l’État travaille conjointement avec les associations et les familles à la solidarité entre générations. Enfin, l’Europe, grâce à ses ressources diverses, doit assumer le vieillissement de la population en aidant les États membres, les acteurs locaux et régionaux et ses citoyens à construire cette société amie de tous les âges. Amandine Kech

Documents joints

Notes

Notes
1 http://europa.eu/ey2012/ey2012.jsp?langId=fr
2 http://www.age-platform.eu/fr
3 Bien que le dixième rapport annuel du Comité d’étude sur le vieillissement du Bureau fédéral du Plan dénote une hausse de la fécondité
4 « Comment promouvoir le vieillissement actif en Europe – Soutien de l’Union européenne aux acteurs locaux et régionaux », europa.eu/ey2012/BlobServlet?docId=7005&langId=fr
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