Quand on veut, on peut !
Chaque personne, pauvre ou riche, aurait le sort qu’elle mérite. À mesure que l’État se désinvestit de son rôle protecteur, on voit émerger un discours selon lequel l’émancipation serait uniquement une affaire individuelle. Au contraire, pour faire société, il est nécessaire de réaffirmer nos responsabilités collectives.
- Crédits :
- Olivier Laval
« Les pauvres sont incapables ou trop paresseux pour se prendre en main », « Il suffit de traverser le trottoir pour trouver un emploi », « une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », « les pauvres sont inutiles », … etc.
Ces quelques idées reçues, relayées sans retenue par certains hauts responsables politiques, ne sont qu’un aperçu de l’éventail de représentations que notre société véhicule sur ses membres les plus pauvres. Ces phrases ont comme point commun de rendre coupables de leur propre situation les personnes en difficultés économiques. Elles constituent des déclinaisons appliquées et stigmatisantes de l’adage populaire : « quand on veut, on peut ! ». Certaines de ces formules tendent même à faire de ces personnes les principales responsables de l’ensemble des maux qui rongent la société. Elles seraient des profiteurs, des poids-morts ou des obstacles inutiles à la prospérité économique… À l’instar des « cancres » dans une salle de classe, les pauvres ou les chômeurs seraient des êtres paresseux qu’il conviendrait de « secouer », sous peine de « tirer tout le groupe vers le bas ». Mais de quelle idéologie ce discours participe-t-il ? Quels sont les effets politiques de cette vision du monde ?
Cette entreprise collective de culpabilisation d’une partie fragilisée de la population a tout d’abord pour effet d’amplifier la souffrance physique et psychologique qui affecte toute personne qui rencontre des difficultés financières. En plus de devoir faire face aux privations et aux angoisses de la fin du mois, il faut en plus « encaisser » l’exclusion, le mépris ou le regard désapprobateur de personnes mieux loties. Par ailleurs, ces phrases, d’apparence anodine, participent d’une idéologie qui, par ses effets politiques, menace les valeurs de solidarité, en consacrant les valeurs de compétition, de concurrence, de mérite et de travail. Enfin, en faisant reposer tout le poids du changement sur des personnes, pourtant déjà vulnérables, on se dédouane de remettre en question les structures sociales et politiques qui sont à l’origine de la fragilisation d’une part croissante de la population.
Valéry Witsel.
Notes
[1] Rocky, film de John Guilbert Avildsen sorti en 1976.
[2] Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, Les Editions de Minuit, 1984.
[3] Enquête Pisa 2015, en Fédération Wallonie-Bruxelles.
[4] Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, Editions du Seuil, 2013.
[5] Voir Pauvrophobie, petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Lucpire éditions, 2018.
[6] DULBEA : Centre de recherche d’économie appliquée de la Solvay Brussels School of Economics and Management et de l’Université Libre de Bruxelles.
[7] Les transclasses ou l’illusion du mérite, émission France Culture avec Chantal Jaquet, le 1er octobre 2018.
[8] Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’entraide,l’autre loi de la jungle, Les Liens qui Libèrent, 2017.
