En théorie, les énergies renouvelables (EnR) sont supposées accroître l’indépendance énergétique des pays ou régions du monde disposant de peu de ressources fossiles et du coup, de diminuer les tensions géopolitiques liées aux intérêts énergétiques. Et pour cause, puisque le soleil, le vent et l’eau… sont considérés comme des ressources énergétiques inépuisables à l’échelle du temps humain et disponibles un peu partout sur le globe terrestre. Cependant, l’exploitation des EnR, rendue possible grâce aux « greentechs », technologies fortement dépendantes en terres rares, crée à nouveau une dépendance envers une ressource qui est détenue par un nombre restreint de pays (la Chine principalement). Cette dépendance vis-à-vis des terres rares, ne fait en vérité, que maintenir les pays importateurs (l’Europe notamment) dans un régime de dépendance, comme pour le pétrole.
Aujourd’hui, la position dominante de la Chine sur l’approvisionnement en terres rares, lui confère le pouvoir d’influencer le cours des matières premières, et par conséquent les stratégies minières et technologiques des autres acteurs. Si jusqu’en 2010, c’est dans une insouciance totale que les pays consommateurs ont pu profiter abondamment d’une matière première chinoise à bas prix, ce pacte, a permis d’un côté aux pays importateurs le développement de leurs nouvelles technologies à faible coût, et de l’autre, l’enrichissement des entreprises chinoises.
Suprématie chinoise
Selon une étude de l’Ifri
[1], la Chine représente 88% de l’offre en métaux critiques, dont 58% pour les seules terres rares (ce qui représente 90% de la production mondiale), 60% de la capacité mondiale de production en cellules photovoltaïques et 50% de la capacité mondiale de production d’éoliennes. Mais c’est également un important investisseur extraterritorial avec l’acquisition de plusieurs licences d’exploitation de mines : RD Congo, Madagascar, Malaisie, Mali…
C’est une toute autre histoire qui se dessine, lorsque la Chine décide d’introduire des restrictions à l’exportation (quotas et taxes) afin, selon elle, de satisfaire sa demande intérieure et de préserver son environnement. D’après les pays importateurs, il s’agirait plutôt d’une stratégie à des fins géopolitiques et économiques. C’est pour dénoncer cette manipulation que les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne ont déposé une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à l’encontre de la Chine. Par la suite, un groupe d’experts a donné ainsi raison aux plaignants et a contraint la Chine à mettre fin à sa politique sur les quotas et taxes. Cette mauvaise expérience sur les quotas chinois, fait prendre conscience aux pays importateurs que l’accès aux terres rares, indispensables au développement de leurs technologies vertes n’est pas garanti.
Depuis cette prise de conscience, c’est avec frénésie que les pays importateurs se sont lancés dans la quête de nouvelles sources d’approvisionnement, la recherche de nouveaux gisements et/ou la réouverture d’anciennes mines. Dans cette perspective, les pays les plus productivistes (le Japon entre autres), investiguent les océans où le potentiel minier serait gigantesque, sans tenir compte des dégâts que cela risque de générer. Dans une moindre mesure, ils investissent dans des alternatives à l’utilisation des terres rares ainsi que dans le recyclage. Le paradoxe des « greentechs » met clairement en évidence la difficulté d’inscrire les ambitions de la transition énergétique, tout en restant dans le cadre d’une économie purement productiviste.
En définitive, les dégâts environnementaux et sociaux induits par l’exploitation des terres rares doivent amener l’Europe à se remettre en question. D’une part, sur le choix des « greentechs », comme solution alternative et durable aux énergies fossiles. D’autre part, sur sa responsabilité dans le sort réservé à l’environnement et aux populations dans les pays exportateurs.
A défaut de pouvoir exploiter des mines sur son territoire, et vu les tensions géopolitiques générées par l’approvisionnement en terres rares, l’Europe devrait investir davantage dans la recherche de ressources de substitution, l’isolation et le recyclage. Ces options permettraient à l’Europe de diminuer à la fois sa dépendance envers une ressource dont elle ne dispose pas et de limiter les dégâts environnementaux causés par l’exploitation minière.
En même temps, un peu partout en Europe, émergent de plus en plus d’initiatives citoyennes à l’échelle locale qui permettent d’envisager une diminution de la consommation d’énergie : les achats groupés, les jardins partagés, les Repair cafés, les initiatives Do it yourself, Zéro déchets ou Sel (Système d’Echanges Local). Des concepts comme l’économie circulaire, l’économie participative, la permaculture sont de plus en plus mobilisés. Nombre de ces initiatives mériteraient que l’Europe et les politiques locales les soutiennent davantage, tant celles-ci ont un impact positif aux niveaux socio-économique et environnemental.
SOURCES- Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018.
- Gilles Lepesant, La transition énergétique face au défi des métaux critiques, Ifri www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/etude_lepesant_transition_2018_complet.pdf
- Jim Ritter, L’érosion du sol – Causes et effets, 10/2012, www.omafra.gov.on.ca/french/engineer/facts/12-054.htm
- Renato Pinto et Jean-Yves Buron, Vivre ensemble, Initiatives citoyennes : et le politique dans tout ça ?, 2016, https://vivre-ensemble.be/IMG/pdf/2016-11_initiatives_citoyennes-politique.pdf
- Bureau d’étude géologique et environnementale, BEGE-RDC, Dégradation de sol par l’érosion : causes, conséquences et mesures préventives, 2016, http://bege-rdc.e-monsite.com/blog/environnement-et-developpement-durable/degradation-de-sol-par-l-erosion-causes-consequences-et-mesures-preventives.html