Si ce récit au langage sec et précis entre, à n’en pas douter, dans la catégorie du genre ‘roman’, il s’agit peut-être aussi simultanément d’un acte militant. Etait-ce l’objectif premier de l’auteur, à travers cette dénonciation de la Justice allemande d’après-guerre ? Si tel était le cas, il atteignit son but.
En effet, en janvier 2012, quelques mois après la sortie du livre, une commission fut créée en Allemagne qui enquêta sur la façon dont avait été traité le passé nazi au Ministère fédéral de la Justice. En annexe du livre, côte à côte, on trouvera d’ailleurs les versions de l’article 50 du code pénal, avant et après la loi Drehler/Tröndle.
Dans un essai paru dans le magazine Der Spiegel, Ferdinand von Schirac a abordé le cas de son grand-père, Baldur von Schirac, un des plus hauts dignitaires nazis. Il affirma toutefois ne pas avoir voulu faire de ce roman un écho de l’histoire de sa famille, mais traiter « de la justice d’après-guerre, des tribunaux dans la République fédérale, des jugements éhontés, des juges qui n’ordonnaient que cinq minutes de prison pour chaque assassinat commis par un criminel nazi. C’est un livre qui porte sur les crimes dans notre État, sur la vengeance, sur la faute et toutes ces choses pour lesquelles, aujourd’hui encore, nous trainons le poids de l’échec ».
Un roman donc sans doute, mais par lequel son auteur s’efforce d’affronter de face la mémoire des horreurs du passé nazi de son pays, la lâcheté de ceux qui prétendirent ensuite n’avoir fait qu’obéir aux ordres, la perte de ce qu’avait pu avoir d’heureux la jeunesse de toute une génération, et il se range sans ambiguité du côté de celui que cette Justice et ce Droit faussés poussent à la vengeance et au suicide.
Il s’agit donc aussi d’un roman d’initiation et de formation, à travers notamment la figure du jeune avocat Leinen, mais aussi parce qu’il nous tient pédagogiquement en haleine, comme un triller, en confrontation avec les arcanes du Droit et les procédures du monde de la Justice, et qui plus est, nous fait toucher du doigt les traces rémanentes dans la mémoire de l’histoire, ici dans celle d’une Allemagne qui se bat encore aujourd’hui avec ses fantômes du passé.
Roman universel enfin, par l’ampleur des questionnements qu’il soulève et qui, dépassant largement le cadre de la justice post-’45 en Allemagne, rejoint chacun, membre du groupe de lecteurs du Café littéraire ou autre, dans son humanité et son rapport à la Justice des Hommes.
Un livre remarquable donc, qui a rappelé au groupe Café littéraire la citation suivante de Boris de Schloezer : "l’œuvre exprime l’homme à la façon dont l’arbre exprime le sol où il est planté ».