Aujourd’hui, le basculement dans une ère civilisationnelle post-carbone est tout d’abord une nécessité éthique. Il s’agit de contenir le changement climatique et de préserver les écosystèmes afin d’assurer aux générations présentes et futures des conditions d’existence dignes. Au mois de novembre 2017, 15 000 scientifiques lançaient un ultime avertissement à l’humanité pour un changement de comportement drastique. Rappelons les recommandations du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) : au-delà de deux degrés d’augmentation de la température moyenne depuis l’ère préindustrielle, le climat s’emballerait, entraînant des catastrophes en cascade de grande ampleur (ouragans, sècheresse, montée des eaux, incendies) et leur lot de souffrances. Pour cette raison, il est urgent d’apprendre à se passer des ressources énergétiques qui ont fait la prospérité de notre civilisation moderne : le pétrole et le charbon.
Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, la fin du pétrole « bon marché » est inévitable. En ce début du XXIème siècle, nous sommes en train de franchir le pic de pétrole, c’est-à-dire le moment où le débit d’extraction de la ressource a atteint son maximum de production. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, le pic de pétrole conventionnel aurait été franchi en 2006. Si l’on prend en considération le pétrole non conventionnel (les pétroles de schiste ou de sables bitumineux… etc.), de moins bonne qualité, le pic de production se situerait aux alentours de 2020. Un pic d’extraction d’une ressource s’explique par le caractère limité des réserves accessibles. Bien entendu, de grandes quantités de pétrole demeurent sous la croûte terrestre, mais le coût d’investissement énergétique devient trop important pour pouvoir l’extraire, malgré l’amélioration des techniques d’exploitation. En effet, si au XIXème siècle, il suffisait à une entreprise pétrolière de creuser à la surface du sol pour voir le pétrole jaillir, aujourd’hui, le pétrole conventionnel se situe à de grandes profondeurs ou sous les océans. Pablo Servigne et Raphaël Stevens, experts en résilience socio-écologique, expliquent « pour extraire du pétrole, il faut de l’énergie, beaucoup d’énergie : la prospection, les études de faisabilité, les machines, les puits, les pipe-lines, les routes, l’entretien et la sécurisation de toutes ces infrastructures, etc. Or, le bon sens veut que, dans une entreprise d’extraction, la quantité d’énergie que l’on récolte soit supérieure à l’énergie investie. [2] ».
Pour des raisons physiques et économiques, la production de pétrole devrait donc décliner au cours des prochaines années. Des signes avant-coureurs sont d’ailleurs déjà perceptibles, à travers notamment l’investissement de différents acteurs dans des énergies alternatives à l’or noir. Ainsi, l’extraction du charbon a connu un essor surprenant depuis le début du 3ème millénaire. La multinationale Total a commencé à investir dans le gaz naturel pour anticiper le déclin de la production de pétrole. Enfin, la Chine investit massivement dans les énergies solaires et éoliennes. Toutefois, selon Philippe Bihouix, les énergies alternatives renouvelables ne parviendront pas à compenser l’épuisement de la production de pétrole. « Indéniablement nous pouvons, et nous devons, développer les énergies renouvelables. Mais ne nous imaginons pas qu’elles pourront remplacer les énergies fossiles. Et nous permettront de remplacer la débauche énergétique actuelle. [3] »
Après l’accélération enclenchée au XIXème siècle, nous devrions connaître de façon irréversible, une grande descente énergétique [4]. En effet, l’exploitation de l’énergie solaire et éolienne repose sur des infrastructures, des processus de fabrication, des transports qui nécessitent également une grande quantité de minerais et d’énergies fossiles, lesquels viendront justement à manquer.
S’il est nécessaire, bien entendu, de développer des énergies renouvelables alternatives, les sociétés contemporaines seront également obligées de « décélérer » leur consommation en ressources naturelles et d’orienter les citoyens vers des modes de vie beaucoup plus sobres en énergie. Autrement dit, l’économie de demain, beaucoup moins dense en activités, ne ressemblera plus du tout à celle que nous connaissons aujourd’hui. Nous devrons renoncer à certains biens et services qui nous semblent naturels. Mais à quoi peuvent bien ressembler des sociétés post-pétroles ? Sur base de quel imaginaire pouvons-nous penser et déjà mettre en place des sociétés soutenables et désirables ?