The urban market gardeners of Lubumbashi: peacemakers

Depuis toujours, une part importante des populations des pays du Sud recourt aux activités agricoles pour assurer sa subsistance. Le maraîchage est l’une de ces activités et la spécificité de sa mise en œuvre dans certaines régions mérite une attention particulière.

Le maraîchage peut être défini comme « la culture intensive de légumes et de certains fruits […]» [1]Dictionnaire Larousse, 2013, pratiquée « dans un espace agraire délimité » et dont la production est « vendue en plus ou moins grande quantité » [2]Mukadi K. Et Tollens E., « Sécurité alimentaire au Congo-Kinshasa. Production, consommation et survie », 2001, collection Congo-Zaïre – Histoire et Société, éd. L’Harmattan . De nombreux ménages, tous niveaux socio-économiques confondus, pratiquent cette activité agricole à temps plein ou en complément d’autres activités rémunératrices et ce, pas uniquement dans les zones rurales. Les parcelles maraîchères abondent en effet également en ville, des plus petites insérées dans le tissu urbain, aux plus grandes situées aux abords des limites de la ville. En février 2012, la rencontre avec des producteurs de la ville de Lubumbashi en République Démocratique du Congo nous a permis de nous rendre compte de l’importance du maraîchage pour le tissu socio-économique local. En effet, alors qu’à l’échelle individuelle ou familiale cette activité présente le double avantage de produire des biens alimentaires directement consommables ainsi que de générer des revenus, du point de vue global de la communauté, elle apporte encore bien plus. Via la création d’emplois, la production et la consommation locales de légumes et la présence de nombreuses associations de producteurs, l’activité maraîchère peut en effet permettre de réduire l’insécurité alimentaire, sociale et économique que connaissent les grandes villes des pays du Sud. Un apport favorable aux communautés locales Premièrement, on constate que les activités de maraîchage contribuent à la création d’emplois. Dans un pays où les emplois sont précaires, pas toujours rémunérés à leur juste valeur, où la sécurité sociale n’existe pas et où le gouvernement ne parvient pas à gérer la croissance démographique (notamment par rapport à cette question de mise à l’emploi), la débrouille est de mise. Le maraîchage, qu’il soit orienté vers l’autoconsommation ou la vente, fait partie des moyens de subsistance de multiples ménages urbains, et c’est par exemple le cas à Lubumbashi. Alors qu’ils requièrent une force de travail importante, la plupart des systèmes de cultures maraîchères sont peu exigeants en capital de départ, offrant ainsi des opportunités d’emplois considérables pour des familles à très bas revenu. A Lubumbashi, deux principaux types de producteurs coexistent : les maraîchers de métier et ceux à temps partiel. Dans un groupe comme dans l’autre se retrouvent des hommes comme des femmes. Cette filière agricole permet donc à ces dernières – ainsi qu’aux personnes plus âgées – de contribuer à l’économie familiale et sociétale, ce qui se révèle d’autant plus crucial dans un contexte de diminution ou perte de salaire de nombreux travailleurs (notamment les fonctionnaires de l’Etat). Un deuxième élément permettant d’identifier l’agriculture maraîchère comme un secteur porteur est la question de la consommation locale de produits locaux. En effet, contrairement aux produits vivriers tels que le manioc ou le maïs, la plupart des produits maraîchers, de par leur fragilité et leur caractère périssable, ne peuvent être transportés sur de longues distances. Ces biens alimentaires doivent donc être produits et consommés localement, afin de garantir leur qualité. Et comme les productions vivrières locales ne suffisent pas à nourrir la population lushoise et que, en l’absence de soutien du secteur agricole de la part du gouvernement, des importations (principalement de la Zambie) doivent compléter la production, on constate que les parcelles maraîchères, elles, ne cessent de se multiplier en ville. La bette, l’amarante, les oignons, la tomate et le chou pommé ou de chine font partie des légumes aujourd’hui les plus couramment cultivés en ville, car même s’ils sont également produits en périphérie, leur acheminement les dégrade et leur fait perdre de la valeur marchande. Le rôle des maraîchers urbains est donc primordial : ils assurent la sécurité alimentaire des habitants, en termes de quantité, de qualité nutritionnelle et de diversité de l’alimentation. Enfin, à Lubumbashi, de nombreux producteurs maraîchers se regroupent en associations, certaines dépassant les 150 membres ! Malgré l’insuffisance de recensement, leur présence est indéniable : la FAO (Food and Agriculture Organisation) soutenait ainsi, par exemple, 134 organisations de producteurs en 2012, au centre et en périphérie de la ville. A côté de ces associations officiellement reconnues et soutenues, bien d’autres existent, de même que de nombreux producteurs individuels. Toutes ces associations offrent diverses opportunités aux maraîchers : – Un partage des connaissances et savoirs techniques entre les différents membres (jeunes ou plus âgés, hommes ou femmes, etc.). – Un soutien financier lorsque l’organisation applique le principe des cotisations. Dès lors, en cas de difficultés financières, une partie de l’épargne collective peut être attribuée aux maraîchers de l’association (système des tontines). – Une structure administrative et un poids, bien que relatif, dans les discussions avec les politiques locaux (concernant l’accès aux terres, aux intrants, etc.). – Une cohésion sociale face aux difficultés tant financières que techniques, professionnelles ou familiales. A nouveau, les associations reconnues et structurées ne sont pas les seules à offrir de tels bénéfices : l’entraide et l’échange de conseils ont également souvent lieu entre maraîchers d’un même quartier. Il faut toutefois reconnaître que ces producteurs individuels ne disposent pas toujours des connaissances et réflexes nécessaires pour maximiser leurs cultures, ni des mêmes possibilités de faire valoir leurs droits. Les contraintes auxquelles doivent faire face les maraîchers Les activités de maraîchage, à côté de ces indéniables bénéfices, ne sont pourtant pas dénuées de difficultés pour ceux qui s’y engagent. En effet, bien que ces activités ne requièrent pas un capital de départ important, se procurer les intrants nécessaires (semences, engrais, pesticides) en quantité et, surtout, en qualité suffisantes représente une difficulté majeure pour certains producteurs, futurs ou déjà engagés. Un autre obstacle important concerne l’accès à l’eau : celle généralement utilisée pour arroser les cultures provient des cours d’eau (nombreux à Lubumbashi), mais aussi de sources d’eau stagnante ou usée et donc … impropre à la consommation. Or les légumes, parfois contaminés (pollution, bactéries), seront malgré tout consommés, faute de mieux. L’accès au matériel nécessaire à l’entretien des cultures et des parcelles peut également se révéler problématique pour certains maraîchers, bien qu’il soit peu sophistiqué de par les faibles revenus de la plupart des producteurs, ainsi que les superficies peu élevées des parcelles. Cependant, la principale contrainte du secteur est d’une nature différente. Alors que les précédentes limites peuvent être contournées via l’entraide entre producteurs ou le recours aux structures associatives, la question de l’accès à la propriété des terres s’avère compliquée. La plupart (61,72%) des maraîchers rencontrés à Lubumbashi se trouvent en situation d’insécurité foncière, c’est-à-dire qu’ils louent leurs terres ou qu’ils en disposent gratuitement. Or, ces formes d’occupation ne favorisent pas la pérennisation de l’activité, puisque ces maraîchers courent le risque de perdre leurs parcelles : le propriétaire peut vouloir les récupérer et, si elles appartiennent à l’État, celui-ci peut faire pression sur les producteurs en exigeant d’eux des taxes de plus en plus élevées. Enfin, le manque de standardisation des mesures des productions et de fixation des prix sur les marchés concourt également à la situation déjà précaire de certains maraîchers. Quel soutien pour le secteur ? Consciente des potentialités du maraîchage urbain, mais aussi des difficultés du secteur, la FAO a lancé en 2002 le programme pour l’Horticulture Urbaine et Périurbaine (FAO-HUP) dans certains pays du Sud. L’antenne locale de l’organisation à Lubumbashi s’est donc attelée à la tâche de favoriser l’accès à la propriété terrienne et aux intrants, appuyer l’amélioration de la productivité, de la qualité et de la diversité des produits cultivés, la création d’emplois, notamment pour les femmes, et une meilleure organisation entre les producteurs. Grâce au soutien financier, à l’appui dans le dialogue avec les responsables politiques locaux et nationaux et aux formations proposées aux maraîchers par la FAO, on a pu constater des améliorations du secteur. Signalons toutefois que l’existence de critères – notamment celui d’être déjà regroupés en association – bloque l’accès à cette aide pour ceux qui, par le fait même de ne pas faire partie d’une organisation structurée, se trouvent pourtant dans une situation moins stable et sécurisée. Une partie des obstacles rencontrés dans le secteur maraîcher pourrait être résolue si le gouvernement congolais et, localement, les autorités lushoises soutenaient plus fermement celui-ci. Malheureusement, comme dans bien d’autres pays, l’agriculture ne constitue pas une filière prioritaire dans les décisions économiques nationales. Les ONG et autres organismes internationaux ont certes un rôle important à jouer car leurs actions permettent de conscientiser les décideurs politiques aux problématiques liées au secteur horticole et offrent des opportunités aux producteurs. Ces organismes n’offrent toutefois qu’un appui limité, financièrement et temporellement. C’est au gouvernement de prendre le relais et de soutenir le secteur maraîcher (et agricole plus globalement) via notamment des lois liées à la propriété terrienne, à l’accès aux intrants ou à la standardisation des mesures des productions, via le renforcement de la structure administrative compétente dans le domaine agricole [3]Divers services ministériels sont déjà en place, tels que le Service national des semences (SENASEM), le Service national des fertilisants et intrants connexes (SENAFIC), le Service national … Continue reading , via l’accès à l’information liée aux techniques culturales, à l’évolution des prix sur les marchés, etc. Néanmoins, et malgré un contexte globalement défavorable, les maraîchers de Lubumbashi (ainsi que ceux de bien d’autres villes du Sud) poursuivent leur activité et continuent d’évoluer. Ainsi, à leur échelle, ils participent depuis de nombreuses années au processus de paix en amenant une part d’équilibre social, économique et alimentaire à la ville. Carole Keutgen, Commission Justice et Paix

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Notes

Notes
1 Dictionnaire Larousse, 2013
2 Mukadi K. Et Tollens E.
3 Divers services ministériels sont déjà en place, tels que le Service national des semences (SENASEM), le Service national des fertilisants et intrants connexes (SENAFIC), le Service national d’intégration d’appropriation à la terre (SENIAT), etc., mais ils ne parviennent pas à soutenir efficacement le secteur.
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