School, a place where the power to act is built?

Etant donné que l’éducation est régulièrement désignée comme le meilleur outil pour préparer les jeunes à l’avènement de la mutation sociétale qui se déroule sous nos yeux, cette analyse s’interroge sur les capacités de notre école à créer les conditions nécessaires à leur émancipation.

En considérant la puissance publique comme une alliée dans cette période de crises multiples, l’État est attendu au tournant. L’éducation est régulièrement désignée comme le meilleur outil pour préparer les jeunes à l’avènement de la mutation sociétale qui se déroule sous nos yeux. Il n’est dès lors pas vain de s’interroger sur les capacités de notre école à créer les conditions nécessaires à leur émancipation. Pour être des acteurꞏrices au cœur des changements que notre époque connaîtra, des citoyenꞏnes au centre de l’Etat, les jeunes doivent disposer de ressources suffisantes. Dans cette analyse, nous aborderons les possibilités du développement de l’agentivité Or capacité d’agir des jeunes à l’école.

Une école émancipatrice…mais pas pour tout le monde

L’enseignement, qui repose essentiellement sur la relation entre des personnes, et entre des personnes et des savoirs, est un lieu par excellence où se développe l’éthicité[1]. En tant que structure sociale que les jeunes côtoient presque quotidiennement, l’école demeure l’endroit le plus propice, avec la structure familiale, pour instaurer des possibilités de développement de l’agentivité. Dans le sillage de la pensée que bell hooks développe dans son ouvrage De la marge au centre : Théorie féministe, il est intéressant de questionner les opportunités que l’école offre aux publics invisibilisés, à la « marge » et souvent ignorés par les politiques publiques menées dans les écoles. Puisque l’émancipation collective viserait à éradiquer toute forme d’oppression, observer les inégalités et formes d’oppression au sein de l’école – et en particulier envers des publics précarisés – semble être un bon indicateur de la nature de cette émancipation.

À ce sujet, une recherche analysant les enjeux des conceptions courantes de l’intégration et de l’immigration dans le système scolaire belge met en lumière les écueils des politiques scolaires du début du 21th siècle.[2] Du côté francophone, les écarts de performance entre les jeunes issu·es des classes populaires et celleux des milieux socialement favorisés sont les plus élevés de toute l’Europe, tant en termes de redoublement que de réorientations non souhaitées. Cela vaut particulièrement pour les enfants d’immigrant·es né·es et scolarisé·es en Belgique. Le fait d’être de la « 2th génération » n’améliore pas leur situation scolaire par rapport aux jeunes issu·es de la « 1ère génération » (et arrivé·es en cours de scolarité en Belgique). Cependant, l’analyse des résultats des enquêtes PISA démontre que les enfants d’immigrant·es (1ère et 2th générations) partagent leurs faibles performances en lecture avec tous les élèves défavorisés sur le plan socio-économique. Ces résultats soulignent le caractère particulièrement inéquitable de l’enseignement belge francophone. S’il est nécessaire de tenir compte des besoins spécifiques des apprenants allophones et des publics précarisés, il est pertinent de questionner les facteurs institutionnels.

Le facteur « établissement »

En Communauté française, au sein de certaines écoles et en particulier dans des écoles bruxelloises, on observe des effets de concentration importants du point de vue ethnique et socio-économique. Certaines communes réunissent davantage les populations d’origines étrangères et la situation de « quasi-marché scolaire » que connaît la Belgique exacerbe ce phénomène. Les établissements scolaires les mieux cotés en raison de leur réputation cherchent en effet à attirer un maximum d’élèves, pour augmenter leurs moyens financiers. Et par élitisme – par sudalisme[3] et/ou mépris de classe ? – les écoles essaient d’attirer de préférence celleux qui sont les plus proches des normes scolaires. Or, des études ont pu démontrer que la ségrégation sociale des établissements et l’inégalité d’un système éducatif vont de pair. D’où l’importance de favoriser la mixité sociale. Ce serait l’une des intentions du décret « inscription » mais les données actuelles indiquent que l’objectif de mixité annoncé n’est pas rencontré.[4]

L’absentéisme, une forme d’agentivité pour certains jeunes ?

En attendant que les politiques prennent le chantier de la mixité sociale à bras-le-corps, quelle agentivité pouvons-nous observer chez les jeunes à l’école ? La faible capacité de l’école à offrir des opportunités n’échappe pas à certain·es jeunes, pour qui l’école semble le contraire d’un lieu égalitaire et émancipatoire. Récemment dans la presse, on y lit que l’absentéisme scolaire a augmenté de 90%.[5] Il s’agit de l’absentéisme « injustifié » répertorié par le Service du droit à l’instruction. En plus de cet absentéisme, il y a toutes une série d’absences justifiées (par un mot des parents ou un certificat). Les élèves sont, dès lors, bien plus absents encore que ces chiffres ne l’attestent. Au-delà des effets de la crise sanitaire sur la scolarité des jeunes, la question du sens de l’école pour les jeunes paraît être centrale. Quand l’école n’apparaît plus comme une solution à la crise existentielle que les jeunes peuvent vivre dans ce monde en mutation, être absent·e peut s’apparenter à une forme d’action.

Au vu de ces constats alarmants, que fait le gouvernement et avec quels moyens ?

Dans la Déclaration de politique communautaire – la feuille de route du gouvernement pour la législature 2019-2024 – un certain nombre d’actions sont stipulées. Notons que l’enjeu de la mixité sociale dans les écoles est délégué à un groupe d’expertꞏes et que la réforme relative aux dispositifs d’accueil et de scolarisation des primo-arrivants (DASPA) et aux dispositifs spécifiques pour les élèves qui ne maitrisent pas la langue d’apprentissage a été mise en œuvre, mais pas monitorée. Concernant l’absentéisme, une task force vient d’être mise en place.

Alors, l’école est-elle au centre de l’action du gouvernement ? En examinant le financement de l’enseignement de plus près, les constats sont mitigés. Le ralentissement de la démographie en Fédération Wallonie-Bruxelles signifie moins d’élèves et donc moins de financement, puisque l’enseignement est financé via une enveloppe fermée transférée de l’État fédéral.[6] Par ailleurs, la question de l’attractivité des établissements est à nouveau mentionnée pour expliquer la diminution du nombre d’élèves en FWB. C’est le cas, par exemple, à Bruxelles où l’enseignement de la Communauté flamande accueille plusieurs milliers d’élèves francophones. D’autres facteurs tendent à augmenter le déficit de moyens, comme la scolarisation à domicile – qui a le vent en poupe –, le décrochage scolaire et le redoublement. Autant de paramètres qui demandent des moyens supplémentaires pour être améliorés mais qui contribuent à accentuer le manque à gagner du financement de l’enseignement francophone.

Face à cette équation complexe de l’adéquation des moyens aux besoins dans le secteur de l’enseignement, divers observateur·rices évoquent sa privatisation. La privatisation de l’enseignement est un processus engagé dans les années 80 dans presque tous les pays du monde. La Belgique ne semble pas y échapper puisque, depuis 2019, le réseau officiel de l’enseignement, dont le gouvernement était le pouvoir organisateur, s’est vu transformé en OIP (organisme d’intérêt public).[7] La création de cet OIP pourrait contribuer à préparer la privatisation de l’enseignement et on assisterait à une rupture avec la notion même de l’éducation comme un droit fondamental, qui doit être assuré par le service public de l’État pour tout le monde. Une question se pose : est-ce que l’on peut envisager la privatisation de l’éducation comme ce fut le cas pour un certain nombre de services publics au sens large (postes, télécommunication, trains…) ? En se fondant sur un modèle de gestion qui réduit considérablement tout contrôle des représentantꞏes des citoyenꞏnes, on peut craindre une tendance à une assimilation aux dynamiques propres aux entreprises réduisant l’éducation à la formation du « capital humain » nécessaire aux entreprises.

Sans exhaustivité, on peut rajouter à ce tableau le turnover des jeunes profs : 35,6 % des enseignantꞏes débutantꞏes abandonnent dans les cinq premières années.[8] Plus interpellant encore, unꞏe enseignantꞏe novice sur cinq quitte la profession dans la première année d’exercice. L’abandon et le turnover chez les enseignantꞏes débutantꞏes sont d’autant plus graves que la Fédération Wallonie-Bruxelles souffre d’une pénurie de professeur·es. Le nombre d’heures perdues, faute d’enseignantꞏes, les ressources engagées dans leur formation, dans le processus de recrutement et lors du temps de familiarisation à l’établissement scolaire représentent un énorme gaspillage d’un point de vue économique, mais aussi humain.

Une seule solution, la manifestation ?

Les élites de demain formées au sein d’établissements « réputés » ou ségrégués comme les écoles européennes auront-elles une vision objective de l’enseignement public fréquenté par la majorité des élèves ? Par manque de (re)connaissance des besoins spécifiques de certains publics, trop de trajectoires scolaires sont encore entravées. Pour avancer sur ce chantier, il faut s’attaquer à tous les mécanismes de sélections des publics : inscriptions, exclusions, réorientations, etc. dans un dialogue avec et pour les publics invisibilisés et marginalisés afin qu’ils puissent se construire effectivement un parcours de réussite au sein de la société. Promouvoir la mixité sociale, accompagnée d’une action en termes d’égalisation des compétences entre les différents publics scolarisés, nécessite des ressources.

Nous nous questionnions en début d’analyse sur la capacité de l’école à permettre aux jeunes de déployer leur agentivité pour faire face aux multiples crises auxquelles notre société est confrontée. Il semblerait que l’avènement d’une société résiliente, solidaire, et émancipatrice passe par une recentralisation des politiques sur l’école. Ceci ne semble pas encore être le cas. Le bilan de fin de législature sera un dernier indicateur de la capacité de l’État à promouvoir une école où les jeunes peuvent développer leur agentivité. Notons enfin qu’aux États-Unis le sous-financement récurrent des écoles était tel que certain·es analystes y ont vu une manière de rendre l’école publique infréquentable, forçant les parents à inscrire leurs enfants dans des structures privées.[9] De grandes grèves organisées ces dernières années dans les écoles de nombreux états américains par l’ensemble des acteurs de l’enseignement – parents d’élèves compris – ont mené à des changements politiques inédits. Penser la puissance d’agir du collectif quand la puissance d’agir individuelle est mise à mal, et repenser l’importance des corps intermédiaires. Quand la puissance publique n’apparaît plus comme une alliée pour soutenir les citoyen·nes face aux grands enjeux sociétaux, changer le cours des choses ne passe alors pas par les urnes ni par une « bonne réforme » mais implique des mobilisations sociales d’ampleur.[10]

Nathalie Vanaubel.


[1] Le philosophe et sociologue Axel Honneth définit l’éthicité comme « l’ensemble des conditions intersubjectives dont on peut prouver qu’elles constituent les présupposés nécessaires de la réalisation individuelle de soi » (La lutte pour la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2013, p. 289).

[2] Hambye P. et Luchini S. (2005), « Diversité sociolinguistique et ressources partagées. Regards critiques sur les politiques d’intégration linguisitique en Belgique » ? in Noves SL.: Revista de sociolingüística

[3] Sudalisme : « Disposition à énoncer les populations « des Suds » à travers leurs manques présupposés, et au nom d’une expertise que l’on (les euro-descendants) aurait des Suds, de leurs manques, retards et de notre capacité à les pallier. Voir les recherches menées par Jérémie Piolat qui fait émerger ce concept : https://www.bepax.org/publications/sudalisme-detour-empirique-et-emergence-drun-concept-partie-1.html

[4] De Thier V. (2019), « Le Décret inscription est mort, vive le Décret inscription », in Le site internet de la Ligue des Droits de l’Enfant, : [https://www.liguedroitsenfant.be/2754/ecole-la-declaration-de-politique-communautaire-inquiete-2/], page consultée le 19 février 2023.

[5] Hutin C., E. Burgraff E., « Le décrochage scolaire ne cesse d’augmenter », in The evening, le  8 février 2023.

[6] Burgraff E., « Les revenus de la Communauté étranglés par la dénatalité », in The evening, le 16 janvier 2023.

[7] Martin G. , « Un décret conduisant à une privatisation de l’école publique », in Le Vif, le 26 septembre 2018.

[8] Goethals M., « Parcours du débutant, parcours du combattant. Jeunes profs en décrochage scolaire », in Le site internet du CPCP – analyse 383 septembre 2019 : [http://www.cpcp.be/publications/profs-decrochage/], page consultée le 19 février 2023.

[9] McGrea C., « The teacher revolt reshaping US », in The Gardian, 7th September 2018.

[10] Breda W. : « Comment les enseignants aux Etats-Unis s’organisent et font grève pour le bien commun », in Le site internet Les mondes du travail, le 22 mai 2018, [https://lesmondesdutravail.net/comment-les-enseignants-americains-sorganisent-et-font-greve-pour-le-bien-commun/], page consultée le 19 février 2023.

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