Democracy confronted with its History

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La Révolution française a bâti les fondations de nos démocraties actuelles. Aujourd’hui celles-ci rencontrent une crise importante. Pour y faire face, il est utile de se rappeler les intentions des fondateurs de cette démocratie au XVIIIème siècle.

Qu’est-ce qu’une démocratie ? Selon le dictionnaire Larousse, la démocratie est une « forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple ». Dans son fameux discours de Gettysburg en 1863, le président américain Abraham Lincoln l’a définie comme étant « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». L’on distingue habituellement deux formes de démocratie, la démocratie directe et la démocratie représentative. Dans le cadre de la première, chaque citoyen exerce une partie du pouvoir sans intermédiaire, tandis que dans la deuxième, le pouvoir est exercé par des représentants du peuple, élus par les citoyens. Dans le monde actuel, les démocraties sont pratiquement toutes représentatives, voire même des démocraties représentatives électives. Ce modèle a en effet été adopté par tous les pays occidentaux et est celui encouragé par l’Organisation des Nations Unies (ONU) à travers le monde. L’écrivain belge David Van Reybrouck regrette ainsi que « les mots « élection » et « démocratie » sont devenus synonymes pour presque tout le monde » et que « nous sommes imprégnés par l’idée que la seule manière d’être représentés passe par la voie des urnes » [[D. VAN REYBROUCK, Contre les élections, Actes Sud, 2014, p. 51.]]. Il suffit de lire l’article 21.3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui prévoit que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ». Le mode de choix des gouvernants est devenu un droit fondamental au même titre que le droit à la vie, la liberté de religion et l’interdiction de la torture. L’une des missions de l’ONU est d’ailleurs d’aider les pays à mettre en place et à maintenir un système démocratique, et ce par le biais de l’organisation d’élections. De plus en plus de critiques se font cependant entendre à l’encontre de ce système politique. Afin de mieux comprendre les fondements de ces critiques, il est intéressant de remonter aux prémices de ce système au XVIIIème siècle, notamment lors de la révolution française. Origines de notre système démocratique actuel Dans son ouvrage Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin, philosophe français, commence par rappeler que « les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie » [[B. MANIN, Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1996, p. 11.]]. A y regarder de plus près, les fondateurs de nos démocraties actuelles n’ont en effet jamais eu l’intention ni la prétention de créer un système démocratique. Ils opposaient au contraire la démocratie telle qu’elle existait notamment en Grèce antique à la république qu’ils souhaitaient mettre en place. L’abbé Sièyes, l’un des acteurs-clés de la révolution française, déclare d’ailleurs expressément en 1789 que « la France (…) ne peut pas être une Démocratie » [[ Dire de l’Abbé Sieyès, sur la question du veto royal, à la séance du 7 septembre 1789, Paris, Assemblée nationale, p. 15.]]. Quelques années avant la révolution française, Montesquieu considérait que : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie. » [[Ch. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748, livre II, chapitre 2, p. 22.]]. Alors que le tirage au sort était relativement répandu avant la révolution française, Bernard Manin s’étonne quant à « l’absence complète de débat, aux origines du gouvernement représentatif, sur l’emploi du sort dans la désignation des autorités publiques » [[B. MANIN, op. cit., p. 108-109.]]. La bourgeoisie ayant soutenu la révolution française de 1789 ne souhaitait pas envisager le recours au tirage au sort, non pas en raison d’obstacles pratiques liés à l’étendue du territoire français, mais plutôt pour des questions de principe. Selon Bernard Manin, l’une des raisons réside dans le fait qu’au XVIIIème siècle, les théoriciens de l’école du droit naturel considéraient que la nation ne pouvait être gouvernée par le biais de représentants que moyennant le consentement des citoyens [[B. MANIN, ibidem, p. 113-116.]], l’élection étant l’expression de ce consentement. Le système représentatif électif visait également à sélectionner les « meilleurs » pour régir la nation, plutôt que de s’en remettre au hasard du tirage au sort. Les « meilleurs » n’étaient pas tant ceux ayant des talents ou compétences innées pour représenter le peuple, mais généralement les plus fortunés. Entre 1789 et 1792, il fallait d’ailleurs posséder une propriété foncière et payer un impôt minimum (cens d’éligibilité) pour être éligible en France [[B. MANIN, ibidem, p. 132]].. La bourgeoisie privilégiait ainsi un système lui garantissant le pouvoir, s’assurant que les élus restaient socialement supérieurs à leurs électeurs [[B. MANIN, ibidem, p. 133-134.]]. Selon Yves Sintomer, politologue français, la préférence donnée aux élections plutôt qu’au tirage au sort s’explique également par la progression, au XVIIIème siècle, d’une division du travail entraînant une professionnalisation de la politique. Les citoyens français n’auraient plus, suite à l’abolition de l’esclavage, de temps à consacrer à la politique [[Y. SINTOMER, Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La découverte, 2011, p. 101.]]. Dans son discours du 7 septembre 1789, l’abbé Sièyes estime que dans le cadre d’un gouvernement représentatif, qu’il prône au détriment d’une « vraie démocratie », les citoyens « se nomment des Représentants bien plus capables qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général et d’interpréter à cet égard leur propre volonté ». Il ajoute que « la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; leur avis est donc de se nommer des représentants. » [[Dire de l’Abbé Sieyès, op. cit., p. 14 – 15]].. Alors que les révolutionnaires proclament haut et fort la souveraineté de la nation, ils n’ont en réalité aucune confiance dans le peuple. Ils entendent au contraire protéger leurs intérêts propres, par le biais d’un système aristocratique. Nous sommes ainsi bien loin de la démocratie antique qui estime que tout citoyen doit être tour à tour gouvernant et gouverné [[ARISTOTE, Politique, VI, 2, 1317 cité par B. MANIN, op. cit., p. 44. Il y a toutefois lieu de rappeler qu’en Grèce antique, une grande partie des habitants étaient exclus du statut de citoyen, tels que les femmes, les enfants, les étrangers et les métèques. Si la démocratie athénienne permettait donc à tous les citoyens de participer activement à la vie politique, ces derniers ne représentaient que 10 à 20 % de l’ensemble de la population. Voir notamment Y. SINTOMER, Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La découverte, 2011, p. 50-51 et 133.]]. Pourtant, lorsque les mouvements ouvriers ont voulu faire entendre la voix du peuple quelques décennies plus tard, ils n’ont pas sollicité le remplacement de ce système par une « vraie démocratie », mais se sont battus pour le suffrage universel. Malgré le fait que tout le monde (hormis les mineurs et certains étrangers) a aujourd’hui le droit de se présenter aux élections dans nos démocraties, de nombreuses catégories de la population n’ont toujours pas réellement la possibilité de participer au pouvoir. Ceci est notamment dû aux importants moyens financiers nécessaires pour pouvoir organiser une campagne électorale, excluant ainsi toute personne ne disposant pas de fonds propres ou d’un réseau de soutien. En outre, le monde politique constitue une forme de milieu endogène, avec des codes implicites, rendant l’intégration de personnes extérieures plus difficile. Comment faire évoluer nos démocraties actuelles ? Nos démocraties actuelles étant fondées sur un système initialement condescendant et paternaliste envers la grande majorité des citoyens, il n’est pas étonnant qu’elles finissent par souffrir d’un criant manque de légitimité. A cela s’ajoute également un manque d’efficacité des politiques actuelles à répondre aux grands enjeux de société, tels que le réchauffement climatique, les inégalités grandissantes entre les plus riches et les plus pauvres ou les migrations. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de voir apparaître des mouvements comme celui des gilets jaunes. Bien que les revendications de ces derniers, sujettes à de nombreuses interprétations, ne font pas consensus au sein même du mouvement, il est incontestable que ce mouvement exprime principalement un ras-le-bol général du système politique actuel, qui favorise une certaine élite socio-économique, au détriment de toute une frange de la population exclue de l’exercice du pouvoir. Le retour, ne fût-ce que partiel, au tirage au sort est de plus en plus souvent avancé comme une solution à la crise que connaissent nos démocraties. Ceci permettrait une plus grande diversité au sein des gouvernants. C’est ainsi qu’en 2011, 27 personnalités belges mirent sur pied le G1000, un sommet citoyen permettant de discuter de différents enjeux de société. Un panel de 32 citoyens fut ensuite tiré au sort afin d’énoncer des recommandations concrètes suite aux thématiques abordées. Une nouvelle liste électorale « Agora » se présente également aux élections de mai 2019, afin d’instaurer « une forme de démocratie par tirage au sort » au sein de la Région de Bruxelles-Capitale. Le tirage au sort ne fait cependant pas l’unanimité. Seppe De Meulder, membre du Parti du Travail de Belgique (PTB), reproche par exemple au G1000 d’avoir émis des propositions correspondant au cadre dominant néolibéral [[S. DE MEULDER, “Contre le tirage au sort”, Revue Lava, avril 2018, voir également Cl. Sénéchal, “Contre le tirage au sort, réaffirmer la politique”, Mediapart, novembre 2014, rejoignant l’idée de Karl Marx, selon lequel « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes » [[K. MARX et Fr. ENGELS, L’idéologie allemande.]]. La démocratie ne peut cependant se contenter de refléter les idées de la majorité. Ceci fait d’ailleurs dire à Albert Camus que « la démocratie ce n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité » [[A. CAMUS, Carnets III, Gallimard, p. 260.]]. Or, les citoyens tirés au sort vont-ils savoir prendre en compte les intérêts des minorités qui, par le fruit du hasard, ne seraient pas représentées dans le panel constitué ? Vont-ils également réussir à résister aux pressions importantes des lobbies extérieurs ? Ces questions méritent d’être posées, tout comme celle de la possibilité de mettre en place un système mixte, combinant le tirage au sort à la représentation par la voie des urnes. Il n’y a pas uniquement lieu de repenser la méthode de sélection des représentants de la société, mais également de permettre une délibération de plus grande qualité. Un dispositif de tirage au sort devrait ainsi s’accompagner d’une éducation citoyenne de haut niveau. Il ne fait aucun doute que le débat quant à la façon dont nos démocraties devraient être changées ou améliorées est éminemment complexe. Il devient cependant urgent de le mener, au risque de voir des clivages de plus en plus importants se créer, entre la classe politique et ceux qui, pour des raisons économiques, culturelles, idéologiques ou d’origine sont ou se sentent exclus du système. En espérant que le débat fasse émerger à terme, un système permettant de refléter les aspirations de la majorité du peuple, tout en garantissant le respect des minorités et des générations futures… Marie Gilliot, volontaire.

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