Les terres rares… Une transition énergétique plus vertueuse ?

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Les terres rares sont des matières premières, indispensables au développement des technologies dites vertes, les « greentechs » tels que les éoliennes et les panneaux solaires. Mais quelles sont les conséquences de leur exploitation ?

Les terres rares sont des matières premières, indispensables au développement des technologies dites vertes, les « greentechs » (comme les éoliennes, les panneaux solaires ou les voitures électriques), mais aussi des technologies numériques telles que les ordinateurs, smartphones et écrans plats. Ces métaux sont également utilisés dans les domaines médicaux et militaires. Si ces matières premières suscitent de nombreux espoirs, notamment au niveau de la transition énergétique, leur mode de production génère pourtant d’importants dégâts environnementaux, une pollution délocalisée, principalement en Chine où 90% de terres rares sont produites. Dépendance qui n’est pas sans rappeler la dépendance des pays européens vis-à-vis des producteurs de pétrole. Les fausses promesses des « greentechs » Un petit rappel s’impose, afin de comprendre la discordance qui existe entre les postulats qui motivent la transition énergétique et le choix des « greentechs » comme solution alternative et durable aux énergies fossiles et nucléaires. Une mutation de notre consommation énergétique, pour l’instant principalement « carbonée » (pétrole, gaz naturel, charbon) et nucléaire, est nécessaire afin de lutter contre le réchauffement climatique, la pollution environnementale et l’épuisement des ressources naturelles. La révolution énergétique se veut donc plus écologique, sociale, équitable et plus sûre d’un point de vue géopolitique. Le scénario envisagé pour mener à bien cette transition énergétique serait un mix d’énergies basé principalement sur des ressources renouvelables, telles que les énergies vertes (solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marémotrice, biomasse…). Certes, ces technologies polluent peu au moment de la production de l’énergie. Les « greentechs » avec l’appui du numérique, permettent en effet d’exploiter et de stocker, de façon plus ou moins efficace, des énergies renouvelables. Mais la réalité est bien différente en ce qui concerne les processus de fabrication et d’installation des équipements nécessaires pour exploiter ces énergies. Ainsi, ces infrastructures sont fortement dépendantes des terres rares, ce qui rend la transition énergétique plus gourmande en métaux, lesquels ne sont pas inépuisables et dont l’exploitation est extrêmement polluante. La transformation des terres rares en un métal pur, exigé par l’industrie high-tech, nécessite plusieurs étapes, toutes destructrices pour l’environnement. Le raffinage, qui consiste à séparer les terres rares du minerai, constitue la phase la plus polluante dans ce processus. Cette technique exige l’utilisation d’importantes quantités d’eau, de produits chimiques et d’énergie. Lors de cette étape, différents résidus toxiques sont également générés et rejetés dans l’environnement : de l’acide sulfurique, des poussières chargées en métaux lourds, de l’eau acide et des déchets radioactifs provoquent ainsi la pollution de l’air, des sols et des eaux et impactent la qualité de vie des villageois vivant non loin des mines et des usines de traitement. Des maladies (respiratoires, de peau, gastro-intestinales, rénales et cancers) et des terres devenues infertiles, conséquences de cette pollution, poussent le plus souvent la population à l’exode, aggravant ainsi davantage leurs conditions sociales, déjà fortement fragilisées par une pauvreté extrême. Par ailleurs, l’exploitation des terres rares provoque une transformation de paysages et de terres cultivables en un décor de type lunaire. Cette destruction sévère de la végétation provoque l’érosion du sol, avec pour conséquence un lessivage des terres (déplaçant ainsi la pollution plus loin) et un risque d’inondation accru (coulées de boue, augmentation de l’intensité et du volume des crues de rivière). Loin des yeux, loin de la conscience Aujourd’hui, l’extraction et le raffinage de ces métaux sont majoritairement pratiqués en Chine, en raison de normes environnementales plus souples. La délocalisation de la pollution a commencé dans les années 1980, à la suite notamment d’un durcissement des réglementations dans les pays occidentaux, lesquelles ont obligé les entreprises à rendre leurs activités minières plus respectueuses de l’environnement. L’investissement nécessaire pour convertir ces mines « polluantes » rendait l’activité minière non rentable. De ce fait, les entreprises ont délocalisé progressivement une grande partie de leurs activités extractivistes, principalement vers la Chine, puissance qui était prête à troquer une partie de son environnement contre la richesse produite par ces métaux. Cette délocalisation de la pollution engendre des comportements absurdes en Europe. Ainsi, dans le but de diminuer l’impact de l’homme sur l’environnement, les gouvernements des pays occidentaux encouragent les citoyens à acheter des voitures électriques, à placer des panneaux solaires, à utiliser toujours plus de technologies vertes… Du bon sens à première vue. Ces politiques se traduisent cependant par un supplément de pollution ailleurs, principalement en Chine. Les problèmes environnementaux, au lieu d’être résolus, sont donc seulement déplacés et rendus invisibles à travers la délocalisation. Un autre aspect insidieux de cette délocalisation est la désinformation qu’elle génère auprès des consommateurs « greentechs », lesquels s’autorisent à consommer au-delà des limites environnementales, sans problème de conscience. Or, le changement comportemental des consommateurs est indispensable pour mener à bien la transition énergétique. Terres rares, le « pétrole chinois » En théorie, les énergies renouvelables (EnR) sont supposées accroître l’indépendance énergétique des pays ou régions du monde disposant de peu de ressources fossiles et du coup, de diminuer les tensions géopolitiques liées aux intérêts énergétiques. Et pour cause, puisque le soleil, le vent et l’eau… sont considérés comme des ressources énergétiques inépuisables à l’échelle du temps humain et disponibles un peu partout sur le globe terrestre. Cependant, l’exploitation des EnR, rendue possible grâce aux « greentechs », technologies fortement dépendantes en terres rares, crée à nouveau une dépendance envers une ressource qui est détenue par un nombre restreint de pays (la Chine principalement). Cette dépendance vis-à-vis des terres rares, ne fait en vérité, que maintenir les pays importateurs (l’Europe notamment) dans un régime de dépendance, comme pour le pétrole. Aujourd’hui, la position dominante de la Chine sur l’approvisionnement en terres rares, lui confère le pouvoir d’influencer le cours des matières premières, et par conséquent les stratégies minières et technologiques des autres acteurs. Si jusqu’en 2010, c’est dans une insouciance totale que les pays consommateurs ont pu profiter abondamment d’une matière première chinoise à bas prix, ce pacte, a permis d’un côté aux pays importateurs le développement de leurs nouvelles technologies à faible coût, et de l’autre, l’enrichissement des entreprises chinoises. Suprématie chinoise Selon une étude de l’Ifri [1]L’Ifri est l’Institut français des relations internationales. Il s’agit d’un centre de recherche et de débat indépendant consacré à l’analyse des relations internationales., la Chine représente 88% de l’offre en métaux critiques, dont 58% pour les seules terres rares (ce qui représente 90% de la production mondiale), 60% de la capacité mondiale de production en cellules photovoltaïques et 50% de la capacité mondiale de production d’éoliennes. Mais c’est également un important investisseur extraterritorial avec l’acquisition de plusieurs licences d’exploitation de mines : RD Congo, Madagascar, Malaisie, Mali… C’est une toute autre histoire qui se dessine, lorsque la Chine décide d’introduire des restrictions à l’exportation (quotas et taxes) afin, selon elle, de satisfaire sa demande intérieure et de préserver son environnement. D’après les pays importateurs, il s’agirait plutôt d’une stratégie à des fins géopolitiques et économiques. C’est pour dénoncer cette manipulation que les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne ont déposé une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à l’encontre de la Chine. Par la suite, un groupe d’experts a donné ainsi raison aux plaignants et a contraint la Chine à mettre fin à sa politique sur les quotas et taxes. Cette mauvaise expérience sur les quotas chinois, fait prendre conscience aux pays importateurs que l’accès aux terres rares, indispensables au développement de leurs technologies vertes n’est pas garanti. Depuis cette prise de conscience, c’est avec frénésie que les pays importateurs se sont lancés dans la quête de nouvelles sources d’approvisionnement, la recherche de nouveaux gisements et/ou la réouverture d’anciennes mines. Dans cette perspective, les pays les plus productivistes (le Japon entre autres), investiguent les océans où le potentiel minier serait gigantesque, sans tenir compte des dégâts que cela risque de générer. Dans une moindre mesure, ils investissent dans des alternatives à l’utilisation des terres rares ainsi que dans le recyclage. Le paradoxe des « greentechs » met clairement en évidence la difficulté d’inscrire les ambitions de la transition énergétique, tout en restant dans le cadre d’une économie purement productiviste. En définitive, les dégâts environnementaux et sociaux induits par l’exploitation des terres rares doivent amener l’Europe à se remettre en question. D’une part, sur le choix des « greentechs », comme solution alternative et durable aux énergies fossiles. D’autre part, sur sa responsabilité dans le sort réservé à l’environnement et aux populations dans les pays exportateurs. A défaut de pouvoir exploiter des mines sur son territoire, et vu les tensions géopolitiques générées par l’approvisionnement en terres rares, l’Europe devrait investir davantage dans la recherche de ressources de substitution, l’isolation et le recyclage. Ces options permettraient à l’Europe de diminuer à la fois sa dépendance envers une ressource dont elle ne dispose pas et de limiter les dégâts environnementaux causés par l’exploitation minière. En même temps, un peu partout en Europe, émergent de plus en plus d’initiatives citoyennes à l’échelle locale qui permettent d’envisager une diminution de la consommation d’énergie : les achats groupés, les jardins partagés, les Repair cafés, les initiatives Do it yourself, Zéro déchets ou Sel (Système d’Echanges Local). Des concepts comme l’économie circulaire, l’économie participative, la permaculture sont de plus en plus mobilisés. Nombre de ces initiatives mériteraient que l’Europe et les politiques locales les soutiennent davantage, tant celles-ci ont un impact positif aux niveaux socio-économique et environnemental. SOURCES
  1. Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018.
  • Gilles Lepesant, La transition énergétique face au défi des métaux critiques, Ifri www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/etude_lepesant_transition_2018_complet.pdf
  • Jim Ritter, L’érosion du sol – Causes et effets, 10/2012, www.omafra.gov.on.ca/french/engineer/facts/12-054.htm
  • Renato Pinto et Jean-Yves Buron, Vivre ensemble, Initiatives citoyennes : et le politique dans tout ça ?, 2016, https://vivre-ensemble.be/IMG/pdf/2016-11_initiatives_citoyennes-politique.pdf
  • Bureau d’étude géologique et environnementale, BEGE-RDC, Dégradation de sol par l’érosion: causes, conséquences et mesures préventives, 2016, http://bege-rdc.e-monsite.com/blog/environnement-et-developpement-durable/degradation-de-sol-par-l-erosion-causes-consequences-et-mesures-preventives.html
Aïcha Achbouk

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1 L’Ifri est l’Institut français des relations internationales. Il s’agit d’un centre de recherche et de débat indépendant consacré à l’analyse des relations internationales.
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