Les déchets européens vont-ils jusqu’en Orient ?

Alors que l’Europe promet le recyclage de tous nos déchets et que l’impact écologique se fait de plus en plus sentir, certains de nos déchets plastiques semblent pourtant partir vers un autre continent, l’Asie.

« En lien avec la redéfinition de la consommation, la gestion des déchets est un des enjeux de la transition écologique. »

Quand l’Europe aggrave la situation climatique

Durant tout l’été 2021, nous avons pu observer de nombreux feux de forêts détruire plusieurs pays : la Grèce, l’Italie, la France, les États-Unis et la Turquie. Certains pensent à une catastrophe naturelle, d’autres pensent au complot mais ce qui est sûr c’est que les déchets européens ne font qu’aggraver la situation environnementale qui intensifie ces changements climatiques.

Faute de moyens ou de places, les déchets plastiques européens ne sont pas majoritairement traités sur le continent mais dans d’autres pays, comme la Turquie. Ce qu’affirme l’UE, c’est que la moitié des déchets plastiques collectés en vue d’être recyclés sont exportés hors du continent[1].

L’Union et ses états membres se déresponsabilisent face à ces politiques. Les politiques prennent des décisions à court-termes car la construction d’usines a un coût plus élevé que l’exportation de déchets. Le traitement des déchets n’est pas systématiquement basculé entre recyclage ou exportation. En réalité, les déchets terminent souvent leurs courses en déchetteries, brûlés provoquant des fumées polluantes et des émissions de gaz à effet de serre ou dans la nature en état brut.

Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre et les déchets plastiques laissés dans la nature peuvent provoquer des dégâts à long terme, caractérisés par une augmentation des températures, la fonte des glaces, l’ouverture de la couche d’ozone et à court et à moyen terme entraînant d’autres types d’implications encore, les inondations, les incendies de forêts etc. De plus, ces déchets brulés ou jetés provoquent également des séquelles sur les humains (dû à l’inhalation de CO2 et autres gaz néfastes) et sur les animaux (dû à l’ingérence de microplastiques dans les mers ou océans).

La société turque mauvaise élève du recyclage ?

772832 tonnes de déchets plastiques ont été exportés vers la Turquie en 2020. C’est égal à 248 camions par jour[2]. Même si cette exportation permet à l’UE de se sentir plus propre, il faut noter ceci : la Turquie manque considérablement d’une législation sur l’impact écologique et sur l’importance de trier les déchets de manière générale. Le pays lui-même ne sensibilise pas la population à se comporter comme tel. La société turque est encore enfuie dans un matérialisme néo-libéral. Elle a encore du mal avec sa transition vers le post-matérialisme, une société moins avide d’argent et de propriétés personnelles où plus de citoyens seraient conscientisés aux questions sociétales et environnementales.

En plus, de la crise économique du pays, du manque de sensibilisation vis-à-vis du tri des déchets et des dommages fait à l’environnement, il ne faut pas nier qu’il existe un réel manque de transparence dans l’industrie du recyclage turque. En effet, il n’existe aucune donnée sur ces dernières[3][4]. Seule l’Institution Statistique de Turquie (TÜIK) affirme que 90% des déchets solides ménagers ne sont pas recyclés.

Néanmoins, en juillet 2021, une volonté de changement s’est fait sentir. La Turquie a essayé de bannir l’importation de polyéthylène dans le pays. Cependant, 10 jours après la publication de la loi, le gouvernement a fait marche arrière et l’a annulé[5].

Il suffit d’observer les poubelles turques : il existe deux types de poubelles mis à disposition, une poubelle pour les emballages recyclables et une poubelle générale. Pourtant, l’intérieur de ces deux poubelles lui ne différent.

Selon Lebreton et Andrady, ce qui va renforcer le clivage Nord-Sud, c’est qu’il va y avoir une augmentation disproportionnelle des déchets ménagers en Afrique et en Asie dans le futur[6]. La Turquie se situe dans le top 20 des Etats qui ont une mauvaise gestion des déchets plastiques[7]. En outre, selon l’OCDE (2019), la Turquie recycle seulement 1% de ses déchets domestiques (c’est-à-dire 10% des déchets plastiques annuels) et renvoient le reste aux déchetteries[8].

Comment un pays qui ne recycle pas ses propres déchets peut promettre à l’Europe de le faire pour les siens ?

Les déchets plastiques exportés en Turquie se retrouvent pris en charge par des entreprises privées proche du gouvernement d’Erdogan.

Les entreprises privées reçoivent de l’argent de l’UE afin de recycler les déchets plastiques et d’en faire, par exemple, des pailles recyclées. Cependant, la nature turque nous montre le contraire. Un panorama de poubelles plastiques, de déchets, de détritus s’offrent à nous sur les bords de route du pays ainsi qu’une pollution importante des mers.

Quand on sait que la Turquie doit porter sur ses épaules le poids des déchets européens tout en s’occupant des dégâts liés à ceux-ci dans son propre pays, nous pouvons comprendre que l’UE reste une figure dominante voire presque coloniale dans l’imaginaire turc. Dans l’imaginaire turc, l’Europe reste un mentor qu’il faut satisfaire et réussir à conquérir (on peut expliquer cela par exemple par la fuite des cerveaux et des jeunes turcs vers l’Europe et les États-Unis).

Que pouvons-nous faire pour agir ?

En tant que citoyens, nous pouvons demander plus de transparence quant aux filières prises par nos déchets plastiques et faire pression sur l’UE pour que celle-ci débloque un plus grand budget dans le recyclage de ses propres déchets. En effet, il serait plus intéressant de chercher des solutions à long-terme et d’essayer d’ouvrir plus d’usines de recyclage plutôt que de penser à court-terme et d’envoyer des déchets dans d’autres parties de la planète. Il faut responsabiliser les politiques qui craignent de se salir les mains et d’appliquer des politiques à long terme aux résultats moins brillants pour les élections.

Si exporter des déchets a aussi un coût, cela reste moins cher que la construction de filières de recyclage. Les déchets plastiques exportés vers la Turquie en 2020 valaient approximativement 143 millions USD (pour approximativement 770.000 tonnes de déchets)[9].

Une autre façon d’agir serait de consigner les bouteilles plastiques. Certains États de l’UE ont déjà ce système depuis quelques années et les bienfaits ne sont pas négligeables. Par exemple, en Allemagne, 95% des bouteilles en plastiques sont recyclés. C’est un système présent dans la plupart des supermarchés ou hypermarchés du pays (donc accessible à tous)[10].

En Belgique et aux Pays-Bas, l’Alliance pour la consigne rallie à sa cause les communes et entreprises qui veulent la consignation des bouteilles en plastiques et des cannettes. Cependant, cette action n’est pas encore démocratisée et politisée dans les deux pays[11]. L’UE a commencé à proposer certaines mesures plus restrictives dans l’exportation de déchets plastiques. Elle a interdit l’exportation de déchets dits toxiques ou contaminés, et depuis un certain temps, elle a voté l’interdiction de la production des 10 déchets plastiques qui se trouvent le plus sur les plages européennes. Cette mesure ne date que depuis juillet 2021[12].

La solution sur le long-terme serait un besoin d’effort internationale entre les pays développés et en développement. Il faudrait notamment la construction d’un système d’économie circulaire qui traiterait les déchets en polyéthylène localement. Ainsi, pour éviter les exportations massives, il faudrait que les pays « développés » arrivent à recycler localement leurs déchets afin de ne plus les exporter vers des pays du Sud tels que la Thaïlande, l’Inde, la Chine ou même, la Turquie[13].

Yusuf Acet.


[1] Parlement Européen, https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20181212STO21610/dechets-plastiques-et-recyclage-dans-l-ue-faits-et-chiffres-infographie

[2] Gündoğdu, Sedat, and Tony R. Walker. 2021. “Why Turkey Should Not Import Plastic Waste Pollution from Developed Countries?” Marine Pollution Bulletin 171 (October): 112772. https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2021.112772.

[3] Gündoğdu, Sedat, and Tony R. Walker. 2021. “Why Turkey Should Not Import Plastic Waste Pollution from Developed Countries?” Marine Pollution Bulletin 171 (October): 112772. https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2021.112772.

[4] Greenpeace Turkey, https://www.greenpeace.org/turkey/harekete-gec/turkiye-plastik-coplugu-olmasin/, consulté le 25/09/2021.

[5] Ibidem.

[6]Lebreton, L., Andrady, A., 2019. Future scenarios of global plastic waste generation and

disposal. Palgrave Commun. 5, 6. https://doi.org/10.1057/s41599-018-0212-7.

[7] Jambeck, J.R., et al., 2015. Plastic waste inputs from land into the ocean. Science 347 (6223),

768–771. https://doi.org/10.1126/science.1260352

[8] OECD, 2019. Municipal waste generation has decoupled from GDP growth, but most waste is landfilled. In: OECD Environmental Performance Reviews: Turkey 2019, OECD Environmental Performance Reviews. OECD Publishing, Paris (accessed 6.24.21) https://doi.org/10.1787/9789264309753-graph15-en

[9] Gündoğdu, Sedat, and Tony R. Walker. 2021. “Why Turkey Should Not Import Plastic Waste Pollution from Developed Countries?” Marine Pollution Bulletin 171 (October): 112772. https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2021.112772.

[10] Plastics News, https://www.plasticsnews.com/article/20161207/NEWS/161209886/german-plastics-group-highlights-success-of-bottle-deposits-in-recycling, consulté le 26/09/2021

[11] L’alliance pour la consigne, https://statiegeldalliantie.org/fr/, consulté le 26/09/2021

[12] Parlement Européen, https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20181212STO21610/dechets-plastiques-et-recyclage-dans-l-ue-faits-et-chiffres-infographie, consulté le 26/09/2021

[13] Xu, Wen, et al. 2020. “Evolution of the Global Polyethylene Waste Trade System.” Ecosystem Health and Sustainability 6 (1): 1756925. https://doi.org/10.1080/20964129.2020.1756925.

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