Justice et Paix parle de l’Afrique centrale à la Chambre

Le 1er juin 2016, Justice et Paix a rappelé aux membres de la Commission relations extérieures de la Chambre des Représentants que l’Afrique centrale doit rester une priorité pour la Belgique. C’est une crise des démocraties que vivent le Burundi et le Congo et nos partenaires, tout comme les diasporas, veulent une parole politique forte!

2016-06-01_cjp_parle_de_l_afrique_centrale_a_la_chambre_des_representants_710x280.jpg Un petit mot d’introduction avant d’entrer dans le vif du sujet, cela pour vous permettre de comprendre d’où je parle. Je m’appelle Axelle Fischer et je suis la responsable de la Commission Justice et Paix francophone de Belgique. Nous avons donc des liens particuliers avec les Commissions Justice et Paix du Burundi et de la République démocratique du Congo, des organes de l’Église catholique des deux pays sur lesquels je vais m’attarder. Justice et Paix est reconnue comme ONG par la Coopération belge et fait, entre autres, partie des réseaux associatifs qui travaillent sur l’Afrique centrale comme EURAC au niveau européen et le CNCD au niveau belge. Enfin, nous sommes également une association d’éducation permanente reconnue par la FWB et cela nous donne l’opportunité de travailler avec des membres de la diaspora d’Afrique centrale qui ont rejoint nos Commissions régionales composées de volontaires. Sur la thématique des ressources naturelles, que je mentionnerai également, nous collaborons avec la CIDSE [1]Le Réseau international des ONG de développement catholiques et le RBRN que nous coordonnons avec Elf Elf Elf. Ces quelques mots vous permettent de comprendre les liens qui existent entre nos organisations. Si nous nous sommes concertés au préalable il est fort probable que nous insistions sur des aspects similaires. Burundi : la peur généralisée Depuis la décision de Monsieur Nkurunziza de rester au pouvoir et ce malgré le fait que la Constitution de son pays ne le lui permettait pas, la crise politique a dégénéré avec entres autres la tentative échouée de coup d’état au mois de mai 2015, le « musellement » de la presse et les graves violations des Droits humains dont nous avons beaucoup entendu parler en décembre dernier. Alors que certains observateurs parlent d’accalmie, nos partenaires burundais résument quant à eux la situation en disant qu’il y a une peur généralisée : les rafles (surtout dans les quartiers dit contestataires) continuent. Il y a des arrestations arbitraires, disparitions et découvertes de fosses communes [2]J’ai à votre disposition un listing réalisé par Justice et Paix Burundi qui a recensé les corps de près de 813 personnes mortes entre avril 2015 et mai 2016.. Sous le couvert d’une recherche de sécurité (les autorités disent « vouloir maîtriser les mouvements de la population » ce qui indique une crainte de retour des groupes armés), on « contrôle » non seulement les adultes et jeunes adultes mais aussi les enfants, ainsi empêchés de se rendre à l’école. Nous pouvons nous étonner du silence d’UNICEF à cet égard [3]Le dernier communiqué au sujet des enfants au Burundi date de novembre 2015.. Deuxième source de stress important : la situation économique du pays. On ne trouve plus de devises et le pays n’est plus fourni en produits de première nécessité, par exemple, les médicaments se font rares. Un récent rapport du FMI en 2015 mentionne que le pays a un taux de croissance de moins 7 % ! Les relations avec les pays voisins sont tendues. Entre l’accueil des réfugiés qui fuient le pays et l’entraînement de combattants confirmé par un rapport des Nations Unies, le Rwanda est pointé du doigt par Pierre Nkurunziza qui trouve dans cette situation un argument supplémentaire pour parler de conflit ethnique. Or, nos partenaires sont très clairs à ce sujet : il s’agit d’un conflit politique qu’il faut donc régler par la politique et, si nécessaire, par la force :
  • en protégeant, première priorité, la population locale qui se trouve isolée. Rappelons que, en janvier dernier, l’Union africaine a renoncé à y envoyer une force de maintien de la paix et a préféré une position d’observateur ;
  • en facilitant la mise en route d’un réel dialogue, facilité par une Union africaine légitime et crédible. Cela implique, entre autres, de rendre ce dialogue complètement inclusif, c’est-à-dire en présence des représentants de l’opposition politique et/ou armée compte tenu du contexte et des circonstances à l’origine de la crise actuelle, ce à quoi l’actuel Président se refuse jusqu’à aujourd’hui. Ce qui implique de se pencher sur la question des prisonniers politiques.
  • en exigeant de l’état burundais le respect des droits humains et en permettant ainsi le retour des réfugiés dont les responsables des ONG et associations locales ayant fui pour assurer leur sécurité. Parmi les questions lancinantes qui se posent : qui reste-t-il au pays ? Et que peut-on encore dire ?
    • à ce sujet, relevons le courage des défenseurs des droits humains restés au pays ainsi que du collectif de journalistes « SOS médias » qui dans l’ombre, avec du matériel très basique et au dépens de leur vie, continuent à assurer une information accessible via Internet mais donc principalement accessible aux élites et observateurs internationaux ;
    • relevons également que l’Église catholique au Burundi, par mesure de prudence, se prononce moins publiquement depuis le mois de mars (l’équipe de Justice et Paix à Bujumbura a fait l’objet de menaces de mort et une partie de ses membres a dû fuir le pays) mais essaie de maintenir un dialogue avec les autorités ;
  • j’aimerais profiter de ce temps de parole pour insister également sur l’importance que la Belgique et l’Europe puissent bénéficier des témoignages de nos partenaires locaux. Malheureusement, faire venir nos collègues burundais est devenu un vrai parcours du combattant tellement la crainte d’afflux de réfugiés a compliqué la procédure d’obtention de visa.
  • une piste diplomatique pour nos pays européens serait de travailler à un dialogue avec l’Angola considéré actuellement comme un pays allié du Burundi et acteur incontournable de par sa force militaire et économique. Bien que lui-même peu regardant des enjeux démocratiques, le risque de voir la région s’embraser pourrait l’encourager à avoir un rôle positif auprès du Burundi et du Congo.
Le Congo : face au glissement, la bonne gouvernance La situation politique au Congo est largement dominée par la question électorale : les élections du 26 mars dernier dans 21 nouvelles provinces du pays ont laissé un goût amer aux observateurs locaux ; l’Église catholique congolaise ayant constaté de nombreuses fraudes, intimidations et achats de vote. Par ailleurs, la stratégie du silence et du « glissement » choisie par Monsieur Kabila énerve de plus en plus. La dernière stratégie juridique en date, l’arrêt de la cour Constitutionnelle , saisie par le parti au pouvoir, n’a fait que confirmer la volonté Présidentielle de se maintenir au pouvoir et ce… à n’importe quel moyen. Ce n’est donc pas un hasard si (et je vais citer ici uniquement un élément qui me paraît révélateur à la fois de la réduction de l’espace politique et du non-respect des Droits humains) un des principaux rivaux potentiels à la Présidentielle, Moïse Katumbi, se voit accusé d’atteintes à la sécurité de l’état ; La CENI se voit obligée de travailler dans un contexte difficile et perd de la crédibilité. Elle a mis en avant des difficultés techniques qui l’empêcheraient de respecter les délais constitutionnels (la fiabilisation du fichier électoral prendrait 16 mois alors que selon les Nations Unies cela aurait pu être fait en 9 mois). Le Dialogue national voulu par Kabila, déjà à la base source de méfiance, se retrouve aujourd’hui vidé de sa substance puisque ses détracteurs mettaient comme condition qu’il puisse aboutir à un calendrier électoral consensuel. La CENCO reste cependant ouverte à ce dit dialogue qu’ils considèrent comme une des dernières pistes diplomatiques permettant d’éviter que le pays s’embrase. Et pourtant, le pays semble déjà s’embraser et des manifestations sont durement réprimées par les forces de l’ordre, police et armée. À Goma (dans l’Est du Pays), à Kinshasa ainsi que dans le Katanga, la population est fatiguée de ne pas être entendue dans ses revendications pour une alternance au pouvoir et la société civile locale craint de plus en plus de dérapages. Cet énervement pourrait également se faire ressentir en Belgique, comme nous l’avons vu en février 2011 lors des émeutes dans le Matonge bruxellois, alors qu’il est prévu que les Congolais de l’étranger puissent élire un nouveau président et leurs députés nationaux. Dès lors, il est devenu nécessaire non seulement de penser en termes d’observation électorale mais également, à moyen terme, d’une éducation civique qui aurait pour triple objectif de : préparer la population à être garant de la bonne marche des élections ; donner des outils citoyens pour que les responsables politiques rendent des comptes et, enfin, de prévenir les conflits ! Alors qu’il y a des morts et des arrestations arbitraires, la Belgique ne peut plus dire qu’elle attend qu’il y ait un calendrier électoral global pour financer les projets d’éducation civique de nos partenaires locaux [4]Signalons à ce sujet l’intéressante démarche commune de la Commission Justice et Paix du Congo et de l’AETA (Agir pour des élections transparentes et apaisées), partenaires des coupoles CNCD … Continuer la lecture. Plus que jamais, et alors que la situation burundaise nous sert de contre-exemple, les congolais ont besoin d’une parole politique forte de la part de la Belgique et de l’Europe pour :
  • que Joseph Kabila respecte les délais constitutionnels et organise les élections. À ce sujet, une pétition [5]Actuellement plus de 1300 signatures récoltées coordonnée par les volontaires de la Commission Justice et Paix du Brabant-wallon montre à quel point la diaspora congolaise, entre autres, est attachée au principe d’alternance au pouvoir ;
  • que les responsables politiques et militaires impliqués dans les violations des Droits humains soient individuellement reconnus responsables de leurs actes, ouvrant ainsi la possibilité de sanctions pénales ;
  • que la résolution 2277 adoptée le 30 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations Unies (pour une sortie de crise du pays) soit respectée et que le dialogue national puisse être accompagné par la Communauté internationale en vue d’en permettre la transparence et l’indépendance.
On est bien ici dans une situation d’urgence. Et aux arguments privilégiant une volonté de non-ingérence aux affaires internes de l’état congolais, il faut pouvoir rappeler et défendre l’universalité des Droits humains. Comme nous le rappelait le journaliste Alain Lallemand, « Quand l’État belge donne chaque année 113 millions d’euros au gouvernement de Kinshasa, il est en droit d’attendre de la bonne gouvernance » [Conférence organisée par Justice et Paix à Liège le 20 mai 2016. Voir aussi l’article [Kinshasa Papers : le Congo aussi aime les offshores dans Le Soir du 19 mai 2016.]]. Mais à long terme, il nous semble qu’une réflexion doit être menée en concertation avec nos partenaires congolais : face au constat, qui concerne à tout le moins la région des Grands Lacs africains, de « Présidents qui s’accrochent au pouvoir », nous devons nous demander pourquoi le principe d’alternance au pouvoir crée des blocages. Notre modèle occidental est-il toujours exportable en l’état ? Face à cela, nous avons essayé d’initier une réflexion que nous voudrions partager largement. Mais la tâche n’est pas aisée tellement il y a des craintes que ce discours soit récupéré politiquement. À propos de bonne gouvernance, j’aimerais clôturer mon intervention par un court commentaire concernant l’Est de la RDC et plus particulièrement la gestion des ressources naturelles. La résolution adoptée par la chambre en juillet de l’année dernière est une étape importante dans le processus en vue d’une législation européenne visant à instaurer une obligation de responsabilité quant à l’importation des minerais dits de conflits. Mais ce n’est pas terminé et au moment où les négociations entre le Conseil européen et le Parlement semblent reprendre sous l’égide des néerlandais, le processus demande toute notre attention (celle de nos organisations mais aussi la vôtre) pour que le projet de règlement ne soit pas vidé de ses aspects importants à savoir : un régime obligatoire demandant aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Axelle Fischer Secrétaire générale Justice et Paix

Documents joints

Notes

Notes
1 Le Réseau international des ONG de développement catholiques
2 J’ai à votre disposition un listing réalisé par Justice et Paix Burundi qui a recensé les corps de près de 813 personnes mortes entre avril 2015 et mai 2016.
3 Le dernier communiqué au sujet des enfants au Burundi date de novembre 2015.
4 Signalons à ce sujet l’intéressante démarche commune de la Commission Justice et Paix du Congo et de l’AETA (Agir pour des élections transparentes et apaisées), partenaires des coupoles CNCD et Elf Elf Elf.
5 Actuellement plus de 1300 signatures récoltées
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