Comment mettre fin aux « minerais des conflits » ?

Les consommateurs européens pourront-ils bientôt acheter et utiliser des tablettes, smartphones, ordinateurs et autres produits électroniques certifiés « conflict free » ?

La Commission européenne a proposé en mars 2014 un règlement législatif visant à assurer un approvisionnement responsable en minerais par les entreprises européennes lorsque celles-ci s’alimentent dans des zones à risque, pour la plupart en proie à des conflits armés endémiques. L’objectif annoncé est de rompre le lien entre ressources naturelles et conflits en mettant fin à l’importation de minerais qui contribuent à assurer la continuité des conflits armés dans le monde. Mais en proposant un schéma d’auto-certification volontaire et en limitant la portée de la législation à seulement 450 entreprises importatrices de minerais bruts (non finis ni transformés) sur le marché européen, la Direction Générale du Commerce loupe le coche. L’impact sur le terrain et donc sur les populations affectées risque d’être minimal, les entreprises n’ayant que peu d’intérêt à proposer d’elles-mêmes des produits certifiés « conflict free » si l’on ne crée pas une obligation généralisée à tous ces acteurs. La proposition de la Commission européenne Le Commissaire belge au Commerce Karel de Gucht propose un schéma d’auto-certification volontaire à 450 entreprises européennes dans le cadre de leurs importations de « minerais des conflits », à savoir l’or, l’étain, le tantale (coltan) et le tungstène (aussi appelé wolframite). Ces entreprises, parmi lesquelles on compte aussi des fonderies, pourront s’insérer dans un parcours tout au long duquel elles devront faire preuve de « diligence raisonnable ». Chaque État membre désignera une autorité nationale qui récoltera ces données et les transmettra à la Commission européenne. Cette dernière dressera ensuite une liste des importateurs respectant le schéma. La Commission européenne aura l’obligation de puiser dans cette liste quand elle fera des appels d’offres dans le cadre des marchés publics. Reste à savoir si les États membres suivront le mouvement en légiférant au niveau national pour une pareille mesure ! Á l’Est de la R.D.Congo, le commerce illégal de minerais par des groupes armés rebelles contribue depuis plus de 15 ans à intensifier et prolonger les conflits. Mutilations, massacres, viols, esclavage et déplacements massifs sont autant de souffrances vécues par les populations locales qui sont sous l’emprise de chefs de guerre locaux avides de profiter des bénéfices issus de la vente de ces ressources. En Colombie, des groupes paramilitaires et la guérilla des FARC se détournent de la production de la cocaïne et prennent en otage des populations innocentes afin de les forcer à extraire de l’or, du coltan et du tungstène… Á l’échelle nationale, les sites illégaux représentent environ 50% des mines et sont répartis dans pas moins de 44% des municipalités. D’autres zones du globe sont également touchées par ce juteux commerce, comme la Birmanie ou encore le Centrafrique, le Zimbabwe, etc. [1]Voir le document « Rompre les liens entre ressources naturelles et conflits. Les arguments en faveur d’un règlement européen ». Le point commun à tous ces exemples ? Le même schéma d’exportation illicite qui s’applique aux minerais : taxation et détournement par des groupes armés suivis par la sortie illégale du territoire et la réintégration dans les circuits officiels. La chaîne d’approvisionnement opaque et complexe va ensuite permettre aux ressources de se refaire une virginité. Mineurs, groupes rebelles, négociants, comptoirs d’exportation, fonderies, importateurs, traders, manufactures et distributeurs ne sont que les acteurs visibles de ce circuit qui pêche par manque de transparence, notamment lorsque les acteurs officiels utilisent les paradis fiscaux pour y gonfler leurs bénéfices et lorsque le « secret des affaires » est brandi afin de justifier le manque d’informations. Á la fin de cette chaîne, le consommateur européen n’a donc aucune preuve que son téléphone portable ne contient pas de matières premières ayant contribué à un conflit armé quelque part sur notre planète… Pour qu’une législation soit réellement efficace à éradiquer l’importation de ces minerais et puisse ainsi contribuer au rétablissement d’une paix durable, toutes les entreprises européennes qui importent, produisent et distribuent des biens contenant des minerais devraient avoir l’obligation de faire preuve de « diligence raisonnable » tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. La Diligence Raisonnable En 2011, l’OCDE (Organisation de Coopération Économique et de Développement) a développé le Guide de la diligence raisonnable pour un approvisionnement responsable en minerais provenant de zones en conflits et à haut risque. Ce schéma a comme vocation d’aider les entreprises à éviter que leurs activités contribuent à des conflits. Véritable acte fondateur, la diligence raisonnable y est définie pour la première fois comme étant l’ensemble de mesures permettant d’identifier et de prévenir les risques en établissant un système de contrôle et de transparence auprès des sous-traitants et fournisseurs. On s’assure ainsi que les minerais ne proviennent pas de zones en conflits. Bien qu’il n’ait qu’une portée volontaire, le guide de l’OCDE est désormais cité en référence par l’ensemble des acteurs privés, étatiques et supranationaux. La Commission européenne s’est également montrée peu ambitieuse en limitant la portée de sa proposition aux quatre minerais stratégiques communément appelés « minerais des conflits », à savoir l’étain, le tungstène, le tantalum (aussi appelé le coltan) et l’or. Elle oublie qu’il y a pourtant de nombreux autres minerais qui contribuent à des exactions dans le monde, citons le cuivre, le jade et le rubis en Birmanie, mais aussi le charbon en Colombie ou encore le diamant au Zimbabwe et en Centrafrique . En 2011, les États-Unis ont posé un acte fort en adoptant la loi Dodd-Frank, qui dans sa Section 1502 impose aux entreprises enregistrées à la Bourse de New-York d’exercer un devoir de diligence et d’expliquer dans un rapport public si leurs produits contiennent des minerais ayant participé au financement de groupes armés dans la région des Grands Lacs (Afrique Centrale). Même si elle n’est entrée en application que depuis le 31 mai 2014, elle a déjà conduit sur le terrain à la mise sur pied de nombreuses initiatives de certification de sites et de traçabilité des minerais de la part d’acteurs privés majeurs mais aussi d’organisations internationales, comme la Conférence Internationale des pays des Grands Lac (CIRGL). Un véritable circuit économique propre se met peu à peu en place. Si ces expériences ont de nombreuses faiblesses et manquent encore d’efficacité, elles laissent entrevoir un futur meilleur pour les populations affectées par les conflits. Quelques initiatives volontaires du secteur privé en matière de diligence raisonnable -Conflict Free Tin Initiative (Gouvernement et industries néerlandaises) -Solutions For Hope (Plateforme d’entreprises) -Public-Private Alliance for responsible mineral trade (gouvernement et industries étatsuniennes) -GeSI-EICC Conflict free Smelter Program (Coalition d’industries) Une étude menée en 2013 par l’ONG néerlandaise SOMO démontre que seulement trente-quatre des 186 compagnies européennes majeures, opérant dans les secteurs les plus exposés à l’importation de minerais des conflits, y font référence sur leur site internet [2] « Conflict due diligence by european companies », Somo Paper, October 2013 . Quatorze de ces entreprises sont également enregistrées aux États-Unis et seront donc affectées par la loi Dodd Franck, ce qui peut expliquer leur proactivité à cet égard. Notons que ces trente-quatre entreprises ont des façons bien différentes d’approcher la notion de « diligence raisonnable ». À ce jour, Philips, Nokia et Telefonica sont les seuls acteurs à prendre des mesures actives sur le terrain pour déterminer l’origine des minerais, tandis que treize « encouragent » leurs fournisseurs à vérifier eux-mêmes l’origine de ces ressources auprès des fonderies. Le reste identifie le problème sans toutefois agir concrètement… Nous pouvons donc conclure que sans réelle pression législative, peu d’entreprises sont promptes à exercer une diligence raisonnable active et efficace tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Il appartient désormais aux États membres et aux parlementaires européens d’amender le texte afin de le rendre plus ambitieux avant son adoption finale par le Conseil de l’Union européenne. Le citoyen a également un rôle à jouer ! En tant que consommateur final de produits manufacturés, il a le pouvoir d’interpeller la Commission européenne afin que toutes les entreprises soient capables, dans un futur proche, de fournir des produits certifiés « conflict free »… Si elle désire réellement lutter efficacement contre les « minerais du sang », l’Union européenne doit se doter d’un règlement contraignant afin de s’assurer que tous les acteurs privés feront preuve de diligence raisonnable tout au long de leur chaîne d’approvisionnement ! Les entreprises en Belgique sont aussi concernées ! Chez nous, de nombreuses entreprises exercent des activités dans les secteurs stratégiques particulièrement exposés à l’importation de minerais des conflits [3]Une étude réalisée en décembre 2012 par Sustainanalytics détermine comme suit ces 10 secteurs stratégiques : les équipements médicaux, l’aéronautique et la défense, l’équipement … Continuer la lecture mais très peu se soucient pour autant de déterminer leur origine et n’ont donc pas de plan pour mettre en place un approvisionnement responsable. Une législation européenne obligeant les entreprises à faire preuve de diligence raisonnable sur tous les minerais toucherait des acteurs stratégiques belges mais aussi des groupes étrangers enregistrés à la Bourse de Bruxelles. Ainsi, nous pouvons recenser 36 entreprises majeures potentiellement concernées par une législation européenne [4]La liste ne recense pas les entreprises non-cotées en bourse : Agfa-Gevaert (équipements médicaux) Barco (composants et équipements électriques) Bekaert (outillage industriel) Belgacom (télécommunications) Boeing (aéronautique) Bombardier (aérospatiale et défense) CFE (ingénierie et construction) Connect Group (composants et équipements électriques) DRD Gold (extraction d’or) Eckert-Ziegler BG (équipements médicaux) Econocom (services informatiques) Elia System Operator (gestionnaire de réseau haute tension) EMD Music (conception et distribution d’instruments de musique) EVS Broadcast Equipment (conception équipements numériques) Flexos (services informatiques) Floridienne (production de sels de métaux) General Electrics (électricité) Goldfields (extraction d’or) Hamon (composants électroniques) Harmony Gold (extraction d’or) IBA (équipements médicaux) Keyware Technologies (identification électronique) Mobistar (télécommunications) Medivision (imagerie médicale) Melexis (semi-conducteurs) Nyrstar (société minière et métallurgique) Option (technologie sans fil) Payton Planar (inducteurs) Rio Tinto (extraction de métaux, dont l’aluminium, le charbon et le cuivre) SABCA (aéronautique) Team International Marketing (distribution d’appareils électroménagers) Umicore (production et transformation de métaux) Unitronics (produits électroniques) Violhalco (métallurgie) Zenitel (réseaux et communications) Zetes Industries (identification de biens et personnes) Santiago Fischer

Documents joints

Notes

Notes
1 Voir le document « Rompre les liens entre ressources naturelles et conflits. Les arguments en faveur d’un règlement européen ».
2 « Conflict due diligence by european companies », Somo Paper, October 2013
3 Une étude réalisée en décembre 2012 par Sustainanalytics détermine comme suit ces 10 secteurs stratégiques : les équipements médicaux, l’aéronautique et la défense, l’équipement électronique, l’automobile, les services informatiques et les softwares, les télécommunications, les semi-conducteurs, l’industrie diversifiée, la consommation électronique, l’équipement et le matériel technologique.
4 La liste ne recense pas les entreprises non-cotées en bourse
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