UE et minerais des conflits : échéance 2021

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L’Union européenne s’est enfin saisie d’un règlement sur les minerais importés sur le sol européen. L’objectif ? Faire en sorte que notre consommation ne finance plus des conflits armés et ne porte plus atteinte aux droits humains. Les résultats ? Ils demeurent quant à eux mitigés… 2017-03-22_eurac_conference_conflict_minerals_22.jpg

Le 16 mars 2017, l’Union européenne a adopté une loi sur les « minerais des conflits », un règlement qui vise à garantir que les minerais importés au sein de l’Union européenne ne portent pas atteinte aux Droits Humains et ne financent pas des conflits armés à travers le monde. Après avoir été débattu pendant plus de 7 ans, le texte est bien moins ambitieux que le projet initialement proposé par le Parlement, au grand regret de la société civile… Une omniprésence assassine La « technologisation » croissante de notre mode vie et la profusion des objets « connectés » rendent notre consommation toujours plus vorace en minerais. Ce n’est pas pour autant que le commerce international de ces mêmes minerais dispose d’outils crédibles pour se désolidariser définitivement de conflits violents à travers le monde. S’il ne constitue bien sûr pas le facteur unique à prendre en considération, ce commerce n’en demeure pas moins une cause non négligeable d’escalade et de persistance de nombreux conflits à travers le monde. La RD.Congo demeure l’archétype de cette situation incontrôlée. Subissant depuis deux décennies la présence de groupes armés qui persécutent les populations locales, le pays est encore aujourd’hui freiné dans son développement et ne parvient pas à achever sa transition démocratique. Le lien apparaît de manière évidente, lorsqu’on sait que, dans l’Est de la RD.Congo, près de 98 % de l’exploitation aurifère est exportée illégalement. Outre la perte sèche que cela constitue pour les caisses des autorités locales, ce commerce illégal est également une source importante de revenus pour les groupes armés qui occupent encore plus de la moitié des mines artisanales de cette région. Mais la « malédiction des ressources naturelles » ne s’arrête pas à ce pays : dans le monde entier, près de 20% des conflits sont intimement liés aux ressources naturelles [1]Conflict Barometer, Heidelberg Institute for International Conflit Research, 2012, cité dans la Communication conjointe au Parlement Européen et au Conseil, Pour une approche intégrée au niveau … Continuer la lecture . Face à cette apparente fatalité, l’Union européenne dispose d’un poids décisif pour lutter contre le financement des groupes armés et les violations des droits humains liés au commerce des minerais. Avec plus de 500 millions de consommateurs, elle constitue le premier marché mondial pour les minerais et les métaux, à la fois en matières premières, mais également en produits de consommation courante (téléphones, ordinateurs, moteurs…). Législation européenne : un filet aux mailles bien trop lâches ? La société civile a bien compris cet enjeu et a obtenu dès 2010 du Parlement européen un positionnement en faveur d’un mécanisme de transparence dans les chaînes d’approvisionnement de plusieurs ressources minières. Quatre minerais stratégiques furent placés dans le collimateur du législateur : l’étain, le tungstène, le tantale et l’or ; et ce en raison des trafics internationaux qui y sont liés. Quelques années plus tard, en 2014, une proposition de loi fut publiée sur base du texte de référence en la matière : le guide de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) sur « le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ». Au départ, l’ambition de ce projet était grande. Une consultation publique fut proposée et bien accueillie parmi les différentes parties prenantes. En 2016 toutefois, la société civile a déchanté lorsque le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union européenne se sont lancés dans une discussion interinstitutionnelle d’ordre technique. Lors de la négociation, des dissensions sont vite apparues et de nombreuses concessions ont été faites à l’égard des entreprises. Suite à ce processus de « trilogue » et le vote de la règlementation, en mars 2017, c’est avec beaucoup d’amertume que la société civile a observé cette demi-victoire. En effet, il n’était plus question d’une législation contraignante, mais d’une simple invitation aux entreprises à se lancer dans des examens de leurs chaînes d’approvisionnement. Tout le caractère obligatoire de la loi fut mis de côté pour la majorité des entreprises. Au départ, il s’agissait de couvrir les importations de minerais sur l’ensemble des produits débarquant sur le sol européen, en « amont » de la chaîne d’approvisionnement (fonderies, raffineries, importateurs de minerais et métaux bruts) comme en « aval », jusqu’aux fournisseurs de produits finis (GSM, tablettes, voitures…). Finalement, cette loi européenne se focalise uniquement sur les entreprises en « amont », laissant les autres compagnies autonomes quant à leur respect des droits humains. De plus, même au sein de cette partie restreinte des entreprises soumises à la législation, d’autres mesures ont été introduites tardivement pour leur permettre de se dispenser de l’exercice demandé : liste blanche de fournisseurs « responsables », seuils d’importation en deçà desquels aucun compte ne doit être rendu, autorégulation… sont autant de faiblesses au texte de loi qu’a condamnées la société civile. L’équivalent de millions d’euros de minerais issus de zones en conflits pourra ainsi continuer à déferler sur le marché européen. Le dernier point négatif de cette loi – et non des moindres – est son calendrier d’application. Si cette loi a été votée et approuvée en 2017, le législateur a décidé de ne la rendre effective qu’en 2021. Le processus de révision interviendra quant à lui en 2023, date à laquelle des mesures supplémentaires pourront enfin être envisagées, au cas où l’implication volontaire des entreprises n’est pas suffisante… La compétitivité, un argument récurrent pour le secteur industriel Durant ce processus de réglementation, le secteur privé a également pu partager sa position, largement en défaveur d’un système de contrôle obligatoire pour les entreprises. Ces dernières ont longtemps avancé, par exemple, la complexité de leurs propres structures ainsi que celles de leurs chaînes d’approvisionnement. La perte de compétitivité qu’engendrerait une telle réglementation pour les entreprises européennes est un argument auquel les décideurs politiques ont été sensibles. Les charges financières et administratives seraient, selon celles-ci, bien trop lourdes que pour s’engager sans dépérir. Ce discours est évidemment monnaie courante dans le secteur, mais il convient d’en souligner les limites. Premièrement, la proposition initiale du Parlement européen préconisait une réglementation flexible, permettant aux petites et moyennes entreprises de s’émanciper de certaines charges, ou de bénéficier d’aides pour répondre aux nouvelles normes proposées. Deuxièmement, le texte final ne permet pas de propager ces normes auprès des partenaires étrangers. En effet, si la loi avait été englobante et contraignante pour l’ensemble des produits (y compris semi-finis et finis), un importateur de GSM d’Asie aurait dû répondre aux mêmes standards qu’un producteur européen. Désormais, avec cette loi limitée, seul un produit entièrement « made in Europe » sera contraint de respecter cette loi. Tout l’effet de ruissellement positif dans la chaîne de valeurs des entreprises est donc brisé. Les entreprises européennes se retrouveront donc paradoxalement, à moyen terme, désavantagées par les propositions des lobbies qui les représentent. À ce titre, le secteur industriel évoquait en clôture de négociations : « La solution optimale pour éviter les distorsions de concurrence serait la mise en place d’un système global de contrôle des chaînes d’approvisionnement, soutenu par des mesures législatives dans toutes les économies » . Un élargissement de cette réglementation à tous les secteurs, de manière mondiale ? Ça tombe bien, Justice et Paix y travaille justement. L’Union fera l’espoir Selon la société civile, cette nouvelle loi ne peut être qu’un premier pas en avant, car des mesures supplémentaires seront nécessaires pour que toutes les entreprises puissent vérifier adéquatement leurs chaînes d’approvisionnement. De plus, ce règlement européen aborde un aspect technique important pour lutter contre les minerais des conflits, mais ne peut à lui seul résoudre les problèmes de développement et de gouvernance liés à l’extractivisme minier dans de nombreuses régions du monde. Pour y répondre, l’Union européenne a donc souhaité, de manière complémentaire à ce traité, s’engager dans des mesures « d’accompagnement ». À travers sa diplomatie et la coopération au développement, l’UE souhaite donc avoir une approche globale et intégrée pour travailler sur différents fronts en même temps : commerce, éducation, relations bilatérales, affaires intérieures… seront autant de domaines touchés par les initiatives du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) . Un levier politique fort qui devra être mobilisé pro-activement et à bon escient pour mettre fin aux carences de gouvernance, de sécurité et de pauvreté. À chacun son rôle : devoirs et attentes respectives Étant donné que cet accord européen se base majoritairement sur une approche volontaire, la balle est désormais dans le camp des entreprises. A elles de prouver, dès aujourd’hui, qu’elles sont capables de prendre leurs responsabilités vis-à-vis des souplesses qui leur ont été offertes, de suivre les normes de transparence proposées ; et ce sans attendre 2021 pour se lancer dans des politiques ambitieuses. Le succès de cette loi non contraignante reposera en grande partie sur l’adhésion et la proactivité du secteur privé. À lui de ne pas décevoir. Les ONG, associations et citoyens devront quant à eux s’engager à un devoir de veille politique afin de maintenir l’attention et la réflexion nées autour de cette thématique. Les minerais des conflits font toujours partie de notre quotidien et se glissent jusque dans notre poche. À nous de prendre également nos responsabilités, et d’avoir l’audace de faire une introspection de notre propre consommation. Timur Uluç

Documents joints

Notes

Notes
1 Conflict Barometer, Heidelberg Institute for International Conflit Research, 2012, cité dans la Communication conjointe au Parlement Européen et au Conseil, Pour une approche intégrée au niveau de l’Union de l’approvisionnement responsable en minerais originaires de zones de conflits ou à haut risque, Joint (2014) 8 final.
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